Texte publié le 18 août 2013.
http://www.lautreparole.org/revues/137
"Des groupes religieux, sociaux ou politiques conservateurs participent activement à une offensive an-ti-choix sur le plan mondial. Le Vatican et des groupes catholiques prennent part à cette offensive. Leur action a un impact au Canada et à la Chambre des communes. Dans ce contexte, nous, membres de la collective L’autre Parole, pensons qu’il est important de prendre la parole comme féministes et comme chrétiennes. Nous affirmons que c’est une déformation du christianisme de penser qu’il com-mande une position anti-choix.
Nous soutenons une position « pour la vie et pour le choix ».
1. Nous sommes « pour la vie »
1.1 Cette vie, don divin, est présente en tout être vivant dans la nature. Un utérus vide est encore un utérus vivant puisqu’il est formé de millions de cellules où circule le flux de la vie et qu’il appartient à une femme, qui est bien vivante, elle aussi. La vie se transforme, mais c’est toujours la vie. Elle cir-cule partout, elle ne vient pas d’une décision d’en haut. Il y a de la vie et de la mort dans la vie. Dieue3 se donne, présente, en chaque forme de vie.
1.2 Nous sommes conscientes que l’interruption volontaire de grossesse met en question la vie d’un être humain en devenir. Dans une vision écoféministe de l’interdépendance de toutes les formes de vie, notre respect et notre amour de la vie demeurent intimement liés à notre profond respect et à notre solidarité avec les femmes qui font face à la décision d’interrompre leur grossesse.
2. Nous sommes « pour le choix »
2.1 Nous avons confiance dans la capacité de choix des femmes. Elles sont des sujets, responsables, capables de se positionner sur cette question éthique et politique. Le choix ultime leur revient. Notre position part de l’expérience et de la vie de chacune de ces femmes aux prises avec cette décision toujours difficile et parfois déchirante. Notre position part du coeur et du corps des femmes dont la santé et l’intégrité doivent être protégées.
2.2 En cela, nous nous inspirons de la pratique et de l’amour infini que Jésus a manifesté tout au cours de sa vie. De fait, le Nazaréen a toujours accueilli les personnes, hommes ou femmes, telles qu’elles étaient, avec leur complexité d’êtres humains. Pour lui, chaque individu était digne et libre.
3. Nous sommes pour une vie durable et pour un choix durable
3.1 Nous nous inspirons d’une vision écologique et durable de la vie. Entre le choix de faire naître et celui de ne pas faire naître, nous privilégions le plus « durable » : celui qui permet de faire naître d’autres choix, celui qui n’enfermera pas dans une situation intenable de détresse psychologique, de carences en éducation ou de précarité économique. Nous privilégions le choix qui ouvre les portes à d’autres possibles au lieu de condamner.
3.2 Nous souhaitons une éducation pour une responsabilisation des hommes à l’égard de leur fertilité.
3.3 Pour nous, respecter la vie, c’est d’abord respecter celle qui existe déjà : celle des femmes elles-mêmes. La vie est complexe. C’est pourquoi nous acceptons que les femmes, en choisissant souvent la « moins mauvaise » des solutions, puissent faire des choix ambigus, des choix imparfaits et même er-ronés. Très souvent, elles sont en zone grise : ainsi va la vie réelle, celle d’êtres humains et non de doctrines pures et vertueuses. Nous répétons aujourd’hui le cri lancé par L’autre Parole en 1982 : « La vie des femmes n’est pas un principe! »
3.4 Pour que le choix soit possible, nous pensons qu’il faut mettre à la disposition des femmes les ser-vices nécessaires pour qu’elles puissent exercer ce choix en tout respect et en toute connaissance de cause. Le mouvement féministe a conquis de haute lutte la possibilité de mettre en place des services d’interruption volontaire de grossesse qui soient sécuritaires et disponibles dans toutes les régions du Québec. Il reste encore du travail à accomplir, tant au niveau de l’accessibilité des services qu’au niveau de la recherche permettant de mieux comprendre le phénomène.
3.5 Nous sommes persuadées que ce droit acquis est toujours à défendre. Il n’est pas temps de reculer, mais de poursuivre notre lutte pour de meilleures conditions de vie des femmes. Nous nous situons en solidarité avec les femmes qui luttent partout dans le monde pour l’accès à l’interruption volontaire de grossesse, « pour la vie et pour le choix ».
Notes:
1. L’autre Parole est une collective de femmes féministes et chrétiennes, fondée au Québec en 1976. (www.lautreparole.org)
2.
La position de la collective sur l’avortement a été adoptée lors de
l’assemblée générale du 18 août 2013. Pour le contexte, voir L’autre
Parole, no 137, www.lautreparole.org
3. La Dieue avec un e, c’est la manière dont L’autre Parole la nomme dans une perspective féministe.
L’autre Parole, Numéro 137 Automne 2013 13
mardi 31 décembre 2013
jeudi 29 août 2013
L'Eglise, la "chaste pute", doit se convertir à la foi des personnes prostituées, et lutter contre l'idolâtrie de la prostitution.
L’Église,
casta meretrix, a une vocation particulière vis à vis de la
prostitution:
- accueil des personnes prostituées comme des frères et sœurs qui bien souvent nous précèdent dans la foi,
- et combat contre les logiques de la prostitution qui pervertissent la foi et l'amour dans leurs fondements les plus intimes en chaque individu et à travers la société.
Tamar,
ancêtre de Joseph, le père adoptif de Jésus-Christ, a subi
l'injustice et la violence des hommes, Er, puis Onan, puis Juda. Elle
s'est finalement « déguisée » en prostituée pour
obtenir un enfant de Juda. Sa résistance à l'égoïsme mâle des
hommes pour la vie a été justifiée. Aujourd'hui toujours la
prostitution est matériellement liée aux inégalités entre femmes
et hommes, à la pauvreté, aux inégalités entre Nord et Sud et aux
violences que se permettent plus facilement les hommes sur les femmes
et les enfants : 80% des personnes prostituées ont été
victimes de violence et d'abus dans l'enfance. Aujourd'hui encore,
elles manifestent une force de vie, une soif d'amour vrai que
l’Église a le devoir de justifier : accueillir les
survivantes de la prostitution, leur donner la parole.
Rahab,
autre ancêtre de Joseph, a permis la victoire de Josué sur Jéricho
et la réalisation de la promesse faite au peuple libéré d’Égypte
d'entrer sur la Terre. Sa participation à la réalisation du Salut
s'accompagne d'une profession de Foi. En cette année de la Foi,
n'est-ce pas l'occasion de se convertir, de tourner notre regard vers
celles que Jésus avait montrer en exemple aux prêtres qui
l'interrogeaient, vers les personnes prostituées qui ont cru en la
prédication du Baptiste, qui aujourd'hui croient en un monde de
justice et d'amour vrai ?
Osée
a épousé une « femme de prostitution » pour montrer de
quel amour Dieu aime l'humanité. Se faisant, une sorte d'équation
est posée pour comprendre comme l'humanité reflète l'amour de
Dieu, mais aussi comment elle peut le trahir : Amour entre époux
et épouse = Foi ; Prostitution = Idolâtrie ; Amour
« vrai » ≠
Prostitution ; Foi ≠
Idolâtrie. La négation de l'amour que vivent au quotidien les
personnes prostituées leur font aspirer au vrai amour, à une vraie
foi. J'ai rencontré une jeune femme, K, albanaise victime de la
traite, qui nous a témoigné n'avoir jamais cessé de mettre sa
confiance dans le Seigneur, là où personnellement, à la seule
audition de son récit, j'aurais douté cent fois de Sa justice. Oui,
elles peuvent être nos maîtresses-enseignantes dans la Foi.
Cependant le mariage formel n'est pas en soi une antidote contre la prostitution. Osée supplie et promet à sa femme : « Et
il adviendra en ce jour _ oracle du Seigneur _ que tu m'appelleras
« mon époux » et tu ne m'appelleras plus « mon
Baal », mon maître ». Les relations de dominations et de
violence peuvent facilement s'infiltrer dans un couple, d'autant plus
quand la prostitution concrète rode dans le contexte social. Je le
constate cruellement dans ma propre expérience d'époux. Il me
semble sous ce jour-là que, si le mariage est sacrement, c'est
qu'il est radicalement contre toutes logiques prostitutionnelles.
A la suite de Saint-Augustin, l’Église doit affirmer aux hommes
qui sont tentés d'être client de la prostitution, et ainsi se faire
complices de tous les trafics qui y sont liés : « N'y
allez pas ! » (17ème sermon, pour la fête des Macchabées). Il faudrait aider un discernement spirituel chez les
épouses et les époux, et chez les fiancéés, pour les aider à
lutter au quotidien dans le couple contre toutes ces petites et
grandes violences qui relèvent et participent des mêmes logiques
que ce qu'on retrouve dans la prostitution : relations sexuelles
où l'un consent à l'autre sans désir, inégalités économiques et
dépendances affectives, humiliations, etc. En somme, que les époux
chrétiens ne deviennent pas l'un pour l'autre des Baals.
Nombreux
sont les chrétiens, et les femmes et hommes de bonne volonté, qui
s'engagent auprès des personnes prostituées, et qui, de multiples
manières, œuvrent à un monde sans prostitution. Pourtant cet enjeu
ne semble être considéré comme central ni par la majorité des
fidèles, ni par le magistère. Alors que par ma propre expérience,
je peux témoigner qu'aller à la rencontre des personnes
prostituées, faire
face au système prostitueur, c'est une voie privilégiée pour aller
« aux périphéries » de l’Église et de la société
tout en progressant dans le cœur de la foi.
C'est pourquoi je crois que l’Église rencontre aujourd'hui un
temps opportun pour retrouver cette vocation à s'identifier aux
personnes prostituées tout en luttant pied à pied contre la
prostitution et l'idolâtrie, à être la chaste pute, casta
meretrix.
mercredi 28 août 2013
Le Pape Benoît XVI condamne la prostitution comme un crime contre l'humanité.
Dans
son discours du 7 novembre 2011 au nouvel ambassadeur d’Allemagne
auprès du Vatican, le pape Benoît XVI déclare : «Toute
personne, homme ou femme, est destinée à exister pour les autres.
Une relation qui ne respecte pas l'égale dignité des hommes et des
femmes constitue un
grave crime contre l'humanité.
Il
est temps de faire un effort vigoureux pour endiguer la prostitution,
ainsi
que la diffusion généralisée de matériel à caractère
pornographique, également sur Internet » 1.
Non
seulement les commentateurs allemands réagirent unanimement2
en associant cette déclaration avec le récent scandale autour de la
publication par la société d’édition « Weltbild »,
propriété de l’épiscopat allemand, de plusieurs milliers
d’ouvrage de pornographie. Mais surtout aucun ne citèrent la
déclaration complète du pape, escamotant la condamnation de la
prostitution comme un crime contre l’humanité. Or le pape
s’adressait au représentant de la république fédérale allemande
pour condamner clairement et fermement le système prostitutionnel en
tant que tel. En effet, comme s’en étonnent certains internautes
allemands dans les commentaires d’articles3,
si le pape voulait régler une situation interne à l’Eglise
allemande, il aurait pu intervenir par d’autres voies, par le nonce
apostolique notamment. S’il s’adresse à l’ambassadeur
d’Allemagne, c’est bien qu’il compte attirer l’attention de
la société allemande entière sur le phénomène prostitutionnel en
son sein. Cette déclaration papale et les (non-)réactions qu’elle
a suscitée dans la presse allemande induisent à faire deux
observations : d’une part la surdité manifeste de la presse
allemande à l’interpellation du pape à propos de la prostitution
illustre l’absence de (/la faiblesse du) débat sur cette questiondans la société allemande;
d’autre part la prise de position de Benoît XVI vis-à-vis de la
prostitution est novatrice dans sa fermeté, elle la définit comme
un crime contre l’humanité, mais elle s’inscrit dans une
tradition qu’il n’est pas inutile de rappeler :
La
prostitution dans la Bible
La
source de l’enseignement de l’Eglise sont bien entendu les
Ecritures, à commencer par les Evangiles. Deux versants d’une même
attitude vis-à-vis de la prostitution et des personnes prostituées
si détachent clairement : d’une part l’accueil aimant des
personnes prostituées et d’autres part la condamnation sans
concession de la prostitution en tant que système.
L’accueil
aimant de Jésus.
L’attitude
de Jésus-Christ envers de nombreuses femmes suspectées de
« mauvaises vies » par leurs contemporains montrent
l’exemple. Que cela soit « la pécheresse »
(Lc 7,36-50), la « samaritaine » (Jean 4,5-53), Marie de
Magdala (Lc8,2 ; Mc 16,1-11) ou la femme adultère (Jn8,1-11),
Jésus agit toujours de même : accueil, écoute, soulagement
spirituel et matériel de la détresse. Les hommes de pouvoir qui
réprouvent l’attitude de Jésus sont régulièrement renvoyés à
leurs propres péchés, qui souvent sont la cause même de la
situation de ces femmes. Plus encore Jésus donne certaines personnes
prostituées en modèle de la foi : celles qui ont cru en Jean
le Baptiste « précèdent [les prêtres du Temple de Jérusalem]
dans le Royaume » (Mt 21,31-32).
La
tradition prophétique : l’idolâtrie est comme un
prostitution.
Dans
le même temps Jésus s’inscrit pleinement dans la tradition
biblique qui condamne à la fois prostitution et idolâtrie, l’une
et l’autre devenant métaphore réciproque. La prostitution
constitue la perversion de la relation d’amour entre femme et homme
et l’idolâtrie celle de la relation entre l’humanité et Dieu.
Peu avant de donner les personnes prostituées en modèle de foi,
Jésus chassa les vendeurs du Temple, citant les imprécations du
prophète Jérémie (Mt 21,12-13). L’argent ne saurait être mêlé
au sacré, de même qu’il ne saurait l’être avec la sexualité.
Osée, l’un des plus anciens prophètes de l’Ancien Testament, a
vécu dans sa chair cette geste condamnant le système
prostitutionnel tout en accueillant la personne prostituée. Il en
épousa une, Gomer. Des obstacles que la prostitution opposa à leur
amour, il en tira un enseignement pour le peuple lecteur de la
Bible : comment l’idolâtrie fausse le juste culte à Dieu.
Dans la tradition ouverte par Osée, traitant l’idolâtrie de
prostitution et comparant la relation entre Dieu et l’humanité
avec une relation d’amour, on trouve les prophètes Amos, Isaïe et
Ezéchiel. On trouve aussi le magnifique chant des
deux amoureux du Cantique des cantiques, que les traditions juives et
chrétiennes ont lu comme l’amour mystique entre Dieu et
l’humanité. Le Cantique se termine par une condamnation de la
tentation de payer pour de l’amour : « Si quelqu’un
donnait tout l’avoir de sa maison en échange de l’amour, à coup
sûr on le mépriserait » (Ct 8,7). Le théologien Josef
Ratzinger s'inscrit entièrement dans cette tradition biblique pour
fonder sa théologie du mariage5.
Les
personnes prostituées, figures de l’Eglise.
Cependant
la Bible est aussi le témoignage littéraire
de sociétés successives du Proche-Orient antique. Elle témoigne
donc aussi de l’ancienneté de l’existence de la prostitution.
Dans la Genèse, Tamar se déguise en prostituée pour obtenir une
descendance de la part de son beau-père, qui la lui refusait malgré
la loi de l’époque (Gn38). Cet épisode illustrerait la
précarisation de la condition des femmes au tournant du néolithique,
manifestée par l’apparition de la prostitution6.
Dans le livre de Josué, c’est une prostituée, Rahab, qui donne la
victoire aux armées de Josué en infiltrant des espions dans
Jéricho. Elle et sa famille sera la seule survivante du massacre et
ils seront incorporés aux tribus hébraïques (Js 2). Tamar comme
Rahab font partie des quatre seules femmes citées dans la généalogie
de Jésus par Matthieu (Mt1). Les pères de l’Eglise vont utiliser
la figure de Rahab comme allégorie de l’Eglise naissante :
elle ne fait pas partie du peuple juif, elle est issue du paganisme
(elle est prostituée) mais sa foi a permis la victoire de Jésus (en
hébreux Josué et Jésus sont homonymes). Pour Origène, Rahab
représente « cette Eglise du Christ qui s'est recruté parmi
les pécheurs et les reçoit comme au sortir de la prostitution »7.
A sa suite Ambroise de Milan nommera l’Eglise « prostituée
chaste » (casta meretrix)8.
Urs von Balthasar, théologien du XXe siècle, reprendra cette
expression pour fonder son ecclésiologie9.
La
prostitution et les chrétiens dans l'histoire
Augustin,
ce qu’il n’a pas dit et ce qu’il a vraiment dit de la
prostitution.
Il
est courant d’entendre dire que Saint-Augustin, parmi les pères de
l’Eglise, justifia le recours à la prostitution, par une citation
particulièrement ignoble : « Il
[Augustin] dit que la femme publique est dans la société ce que la
sentine est dans la mer et le cloaque dans le palais. Retranche le
cloaque et tout le palais sera infecté."
Or Charles Chauvin a montré que cette citation rapportée par
Ptolémée de Lucque au XIIIe siècle ne se trouve nulle part dans
les œuvres connues d’Augustin10.
On ne trouve qu’une citation au sens proche, mais moins injurieux,
dans un traité de philosophie écrit par le jeune Augustin, avant sa
conversion au christianisme, alors qu’il était manichéen11.
Au contraire, une fois devenu évêque, Augustin enjoindra les hommes
chrétiens à ne pas être clients de la prostitution lors des fêtes
données dans la ville de Bulla. A cette occasion, il rappela que
Jésus affirma que les personnes prostituées « nous précèdent
au Royaume des cieux »12.
Prohibitions
et réglementations en chrétientés
Or
cette seconde citation d’Augustin fut oubliée par les théologiens
du Moyen-Âge pour ne retenir que le pseudo-Augustin qui compare les
personnes prostituées à un cloaque. Concrètement cela va conduire
à une succession de régimes prohibitionnistes, condamnant et
réprimant les personnes prostituées, et plus ou moins les clients
et les proxénètes, et de régimes réglementaristes, méprisant et
humiliant les personnes prostituées, mais tolérant complaisamment
clients et proxénètes. On cite souvent l'ordonnance de 1256 de
Saint-Louis. Elle serait le modèle des réglementations médiévales
reléguant la prostitution hors les murs des villes. Cependant
Saint-Louis souhaita d'abord interdire strictement la prostitution
par l'ordonnance de 1254, qui prévoyait des châtiments corporels
sévères contre les « ribaudes » et leurs protecteurs13.
Justinien avant lui, parmi les premiers empereurs chrétiens, décida
en 535 la fermeture des lieux de prostitution dans Byzance et le
bannissement des proxénètes. Apparemment selon le conseil de son
épouse Théodora, peut être elle-même une ancienne courtisane.
Cette mesure ne dura cependant que 20 ans, Justinien permettant le
retour des souteneurs 8 ans après la mort de Thédora.
L’Église
tolère la prostitution comme un « moindre mal ».
S’appuyant
sur la fausse citation de Saint-Augustin et la doctrine
du moindre mal de Thomas d'Aquin, les moralistes catholiques vont
justifier la tolérance de la prostitution à partir du XIVe siècle.
Cette doctrine de la prostitution comme un moindre mal, quoiqu'en
contradiction manifeste avec les sources du christianisme, va
prévaloir jusque au début du XXe siècle au sein de l’Eglise
catholique, et dans la mentalité des sociétés chrétiennes
d’Europe occidentale. On voit à quel point cette mentalité va
être reconduite, quoique sécularisée, dans la réglementation de
la prostitution « à la française » du XIXe siècle.
Parent-Duchâtelet comparant les personnes prostituées aux égoûts.
Les
résistances évangéliques à la prostitution en chrétienté.
Pourtant
des chrétiens ne cesseront de résister contre ces attitudes
anti-évangéliques quant à la prostitution. Ignace de Loyola fonda
à Rome en 1542 la maison Sainte-Marthe pour accueillir les personnes
prostituées, en leur donnant le choix du type de vie qu'elles
souhaitaient. Le vieil Ignace arpentait les rues de Rome pour aller à
la rencontre des courtisanes et leur proposer de rejoindre sa
fondation14.
Alphonse de Ligori de son côté fut un des rares moralistes à
condamner fermement les clients de la prostitution. Tout au long du
Moyen-Âge et sous l'Ancien Régime, des initiatives régulières
vont être prises pour donner aux personnes prostituées un accueil
et une possibilité de trouver une alternative à la prostitution,
même si l'alternative, contrairement à la maison Sainte-Marthe
d'Ignace de Loyola, était souvent réduite à une vie austère et
recluse : couvents de repenties ou de Madeleines, le Bon
Pasteur...
Retour
aux principes évangéliques : l'abolitionnisme chrétien.
La
fondatrice moderne de l’abolitionnisme, Josephine Butler, est
pleinement issue du protestantisme anglican. L’abolitionnisme va
ensuite trouver un écho militant dans les milieux du catholicisme
social de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. A tel
point qu’au moment de Aggiornamento de l’Église que constitua le
concile Vatican II, la prostitution en tant que système sera
clairement condamnée. Le Nid a été fondé par le père Talvas avec
des militants du catholicisme social. L’Église catholique
française est acquise à différents niveaux au double principe de
l’accueil charitable des personnes prostituées et de la
condamnation du système prostitutionnel. De nombreux diocèses
soutiennent matériellement et spirituellement le Mouvement du Nid,
laquelle association fait partie du Comité Catholique contre la Faim
et pour le Développement.
Récemment la conférence des évêques de France (CEF) réagissait à
l’augmentation brutale de la prostitution et de la traite en
provenance d’Europe orientale au cours des années 1990 par une
condamnation ferme du système prostitutionnel :
“Il s'agit, en réalité, de savoir si l'être
humain peut être objet de commerce. La prostitution est une atteinte
à la dignité des personnes: elle exprime un mépris du corps et
rabaisse la relation sexuelle au niveau
d'un marché. (…) La prostitution est un refus du projet divin à
l'égard de toute personne humaine et donc, au regard de la foi, elle
relève de l'ordre du péché, tant personnel que collectif.15”
En conséquence la CEF encourage
vivement les catholiques et les communautés chrétiennes à
s’engager en faveur de l’abolition de la prostitution :
“Répondre à la situation alarmante du phénomène de la
prostitution, s'engager auprès de ceux et de celles qui s'opposent à
toutes les formes de sa banalisation, défendre le respect de toute
personne parce qu'elle est une créature aimée de Dieu, sauvée par
le Christ: cette tâche incombe aujourd’hui en France à toutes les
communautés chrétiennes.”
Peut être influencée par les travaux de Charles
Chauvin, la déclaration des évêques reprend sa conclusion: “Le
19e siècle a vu la fin de l'esclavage. Le 20e sera reconnu comme
celui où la peine de mort a été abolie dans la plupart des pays du
monde. Le 21e sera, si nous le décidons, celui de l'éradication
progressive de l'exploitation sexuelle.”
La
récente déclaration du pape Benoît XVI est donc à situer dans la
continuité de cette
longue tradition biblique et chrétienne: condamnation de la
prostitution au nom de la dignité des personnes. Plusieurs siècles
de « chrétienté » où la prostitution était tolérée
comme un moindre mal et où les personnes prostituées ont été
particulièrement humiliées, à l’instar de toutes les femmes
accusées par une théologie misogyne obsédée par la pureté
sexuelle, laisse au christianisme contemporain un lourd héritage
dans les mentalités comme dans les faits. Beaucoup trop parmi les
chrétiens partagent ces opinions anti-évangéliques, comme le
montre la surdité des allemands, y compris des catholiques
allemands, quant à la condamnation par le pape du système
prostitutionnel dans leur pays comme un « crime contre
l’humanité ».
Chronologie.
- VIIIe siècle av. JC : Osée, prophète dans le Royaume du Nord, épouse une femme prostituée, Gomer, et dénonce toutes formes d’idolâtrie comme une prostitution.
- VIIe siècle av. JC : rédaction du deutéronome, interdit de la prostitution des femmes et des hommes en Israël. ("Il n'y aura pas de courtisane sacrée parmi les filles d'Israël; il n'y aura pas de prostitué sacré parmi les fils d'Israël. Tu n'apporteras jamais dans la maison du SEIGNEUR ton Dieu, pour une offrande votive, le gain d'une prostituée ou le salaire d'un "chien", car, aussi bien l'un que l'autre, ils sont abomination pour le SEIGNEUR ton Dieu."Dt.23 ;18-19)
- Temps évangéliques : on compte parmi les disciples de Jean le Baptiste des personnes prostituées. Jésus les montre comme exemple de la foi (Mt 21,31-32)
- IIIe siècle ap. JC : Origène voit en Rahab une allégorie de l’Eglise.
- IVe siècle ap. JC : Ambroise de Milan parle de l’Eglise comme d’une prostituée chaste (casta meretrix).
- 535 : fermeture des lieux de prostitution dans Byzance par Justinien. Les personnes prostituées sont récluses dans des conditions indignes.
- 1254 : interdiction de la prostitution dans le Royaume de France par Saint-Louis. Des châtiments corporels sont prévus pour les personnes prostituées et les proxénètes.
- 1256 : réglementation de Saint-Louis. La prostitution est tolérée hors les murs des villes, et à distance des lieux de pèlerinage et cimetierre.
- 1542 : Fondation de la Maison Sainte-Marthe à Rome par Saint-Ignace de Loyola. Les personnes prostituées sont accueillies dans le respect de leur choix de vie. Ignace va à leur rencontre dans les rues de Rome.
- 1886 : Joséphine Butler obtient du gouvernement britannique l’abandon de la réglementation de la prostitution « à la française ». Première victoire de l’abolitionnisme moderne.
- 1937 : rencontre entre Germaine Campion et le père André-Marie Talvas à l’origine du Mouvement du Nid, de l’Amicale du Nid et du Mouvement Vie Libre.
- 8 décembre 1949 : promulgation de la constitution pastorale « Gaudium et Spes » condamnant la prostitution parmi les « offenses à la dignité humaine » que les chrétiens doivent combattre.
- 1975 : occupation d’églises dans plusieurs villes de France par un mouvement de personnes prostituées contre le harcèlement policier, avec le soutien de militants catholiques (notamment du Nid).
- 2000 : Déclaration de la commission sociale des évêques de France: "L'esclavage de la prostitution"
- 2003: document de la commission sociale des évêques de France "Violence envers les femmes", paragraphe 7 à 13
- 2011 : Benoît XVI déclare à l’ambassadeur d’Allemagne que la prostitution est « un crime contre l’humanité ».
1
Texte
complet :
http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/speeches/2011/november/documents/hf_ben-xvi_spe_20111107_ambasciatore-germania_ge.html;
Traduction de La Vie du 09/11/2011
http://www.lavie.fr/chroniques/matinale-chretienne/l-eglise-melkite-aux-usa-s-apprete-a-ordonner-des-hommes-maries-08-11-2011-21724_167.php)
2
07/02/2011 Focus,“Papst Benedikt XVI. ruft katholische Bischöfe
gegen Erotik auf“; Stern: „Papst fordert deutsche Bischöfe zum
Vorgehen gegen Pornografie auf“; Süddeutsch Zeitung: „Papst
verdammt Pornos im Internet“; etc.
3
http://www.kath.net/detail.php?id=33798&action=komm
4
Gaudium et Spes, 27,3
5“Si
le culte (...)de la fécondité fonde directement du point de vue
théologique la prostitution, alors la relation de l'homme et de la
femme dans le mariage exprime la conséquence de la foi au Dieu
d'Israël.” La fille de Sion, Josef Ratzinger, 2002 (origin.
1990), Parole et Silence, p. 40
6cf.
“Nature Culture guerre et prostitution; le sacrifice
institutionnalisé du corps” Martine Costes-Péplinski; 2001,
Sexualité humaine L'harmattan. pp.75-78
7Homélies
dur Josué III,4
8 "Rahab – qui originellement était une prostituée mais qui dans le mystère est l’Église – a indiqué en son sang le signe futur du salut universel au milieu du massacre du monde. Elle ne refuse pas l'union avec les nombreux fugitifs, elle est d’autant plus chaste qu’elle est plus étroitement unie au plus grand nombre d’entre eux ; elle qui est vierge immaculée, sans ride, intacte dans sa pudeur, amante publique, prostituée chaste, veuve stérile, vierge féconde... Prostituée chaste, parce que de nombreux amants viennent à elle par l’attrait de l'amour mais sans la souillure de la faute" (In Lucam III, 23).
9 Sponsa Verbi. Skizzen zur Theologie II. Johannes Verlag 1961.
8 "Rahab – qui originellement était une prostituée mais qui dans le mystère est l’Église – a indiqué en son sang le signe futur du salut universel au milieu du massacre du monde. Elle ne refuse pas l'union avec les nombreux fugitifs, elle est d’autant plus chaste qu’elle est plus étroitement unie au plus grand nombre d’entre eux ; elle qui est vierge immaculée, sans ride, intacte dans sa pudeur, amante publique, prostituée chaste, veuve stérile, vierge féconde... Prostituée chaste, parce que de nombreux amants viennent à elle par l’attrait de l'amour mais sans la souillure de la faute" (In Lucam III, 23).
9 Sponsa Verbi. Skizzen zur Theologie II. Johannes Verlag 1961.
10
Les chrétiens et la prostitution; Charles Chauvin, Le Cerf, 1983.
pp.56-60
11
De Ordine II,IV,12
12
17Eme sermon (pour la fête des machabées I; paragraphes 8 et 9.
(http://caloupile.blogspot.com/2010/04/prostitution-intolerable-chez-augustin.html)
13
Les chrétiens et la prostitution; Charles Chauvin, Le Cerf, 1983.
pp.30-31
14
Prostitution et Société
1991;
http://caloupile.blogspot.com/2011/08/ignace-de-loyola-et-les-personnes.html
15
Déclaration de la CEF; 4 décembre 2000; Prostitution et Société,
janvier 2001.
mardi 23 juillet 2013
Précarité d'une naissance (1); Messianismes pour ou contre les violences de genre ?
Commentaire féministe de la Bible – Matthieu 2,1-12
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.
Nous avons toutses en tête qu’à sa naissance, Jésus, entouré de Marie et
Joseph, est visité par trois Rois-Mages. C’est encore un exemple qui illustre
comment nous nous sommes faittes des images dont nous sommes persuadéés
qu’elles se trouvent dans la Bible. Or les mages ne sont ni rois ni trois. Et
quand ils entrent dans la maison, ils n’y trouvent que Marie avec Jésus. La crèche,
on la rencontrera dans l’autre évangile de l’enfance de Jésus, chez Luc. Que
les mages soient trois rois venus de continents différents, ce sont des
traditions plus tardives qui l’ont imaginé. Dans le texte de Matthieu, ce sont
seulement des mages, étrangers à la Palestine et à la tradition juive. Est-il possible qu’il y ait des femmes
dans ce groupe ? Rien n’interdit de le supposer, ni l’esprit du texte
qui convoque á travers ces mages toute l’humanité dans sa diversité, ni la
plausibilité historique puisqu’on trouve autour du siècle de Jésus-Christ des
sociétés qui accordent aux femmes assez de libertés pour que certaines d’entre
elles soient devenues érudites et savantes à l’instar d’Aspasie. Car ces mages
sont certainement des astrologues. Ils ont « vu un astre à l’Orient »
et y ont lu un signe que le roi des juifs était né. On pourrait dire sans
anachronisme que ces mages suivent une démarche scientifique : observation
d’un astre nouveau ; hypothèse : il s’agirait d’un signe annonciateur ;
vérification : d’abord auprès des « experts » des écritures qui
annonçaient la venue du Messie, puis en allant elleux-même rendre hommage au
nouveau-né et à sa mère. Cette démarche cependant n’est pas scientifique au
sens contemporain de la recherche d’une puissance technique, elle poursuit un
questionnement existentiel : les mages se déplacent, ils vont à la
rencontre d’une autre culture, puis à la rencontre d’un humble foyer. Ellils ne
semblent ni déçüs ni surprisses par l’apparence du roi des juifs qu’ellils
étaient venüs honorer. Comme si ellils n’avaient pas une idée préconçue de ce
que devait être la réalité, qu’ellils n’avaient pas l’intention de la faire
plier à leurs désirs et ambitions. C’est certainement cette ouverture qui les a
aussi rendüs receptivifs á l’avertissement du songe. Comme pour Joseph précédemment, il n’est pas nécessaire d’imaginer que ce songe soit un ordre
divin envoyé pendant le sommeil. L’ambiance de la cours du roi Hérode,
l’ambition et la jalousie que celui-ci a certainement manifestées les a
certainement inquiétéés. Ellils ne souhaitaient pas provoquer la mort ou le
malheur de cet enfant. C’est du bon sens que de ne pas être retournéés à la
cours du roi Hérode. Nommer cela bon sens ne veut pas dire que Dieu n’y était
pas. Cela nous permets de nous rendre
compte comment dans nos propres vies nous pouvons être avertïs « en
songe » de ce qui est juste. Pour cela, il faut, comme Joseph,
l’anti-Adam, être sensible aux situations d’injustice et ne pas se laisser
rendre aveugle et insensible par l’excuse que nous donnerait la loi, la
tradition ou même la religion ; et, comme les mages, il faut être ouvertte
á l’inattendü de la vie et de la réalité, tout en étant en quête.
Face aux mages, le roi Hérode, et les grands prêtres et les scribes, ont une attitude toute contraire. Ils ont le pouvoir et entendent le conserver, ils savent le sens des écritures mais ne se laissent pas mettre en mouvement par ce qu’elles leur annoncent. Pourquoi, en effet, personne à Jérusalem ne se propose d’accompagner les mages pour rendre hommage au roi des juifs ? Dés la naissance le même paradoxe que celui qu’on trouvera á la mort de Jésus-Christ : les importants du peuple juif méprisent, détestent ou au mieux traitent par l’indifférence celui que des étrangers reconnaissent comme leur roi. On le comprend aisément de la part d’Hérode. Si ce qu’annonce les mages n’est pas vérifié, il est inutile qu’un personnage aussi important qu’il pense être se déplace dans un trou paumé comme Bethléem. Et s’il est vrai que le roi Messie, descendant de David, est né, il aura bien le temps de le faire disparaître. Il ne doute pas que les mages lui obéiront. Mais de la part de « tout Jérusalem » qui est troublé avec Hérode par les paroles des mages ? Comment se fait-il qu’il n’y en ait aucun pour aller rendre hommage au Messie nouveau-né attendu depuis la prophétie de Michée, voici au moins sept siècles ? Peut être la raison se trouve-t-elle dans la prophétie elle-même. Pour répondre à la question des mages sur la localisation de la naissance, les scribes et les grands prêtres ont mélangés deux références bibliques : d’une part le couronnement de David par les anciens d’Israël qui reconnaissent que le Seigneur lui ait dit « C’est toi qui feras paître Israël, mon peuple, et c’est toi qui seras le chef d’Israël » (2Sa5,2) ; d’autre part l’oracle de Michée qui mentionne Bethléem : « Et toi Bethléem Ephrata, trop petit pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent á l’antiquité, aux jours d’autrefois. C’est pourquoi Dieu les abandonnera jusqu’aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera de ses frères rejoindra les fils d’Israël. Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du Seigneur, par la majesté du Nom du Seigneur son Dieu. Ils s’installeront, car il sera grand jusqu’aux confins de la terre. Lui-même, il sera la paix. » (Mi 5,1-4). Ce qu’ils ne disent pas de l’oracle de Michée montrent où se situent leurs réticences. Alors qu’ils disent de Bethléem qu’il « n’est pas le plus petit des chefs-lieux de Juda », Michée dit bien que ce village et le clan qui l’habite sont tellement insignifiants qu’ils ne figurent pas dans le décompte des clans de Juda. Nulle mention chez les grands prêtres et les scribes de la paix, et encore moins de ces frères qui restent et qui rejoindront les fils d’Israël. Or l’oracle de Michée commence par parler de ce reste : « Je rassemblerai ce qui boite, je réunirai ce qui est dispersé, ce que j’ai maltraité. De ce qui boîte, je ferai un reste ; de ce qui est éloigné, une nation puissante » (Mi 4,6-7). Or cette parole du Seigneur rapportée par Michée semble répondre à la manière avec laquelle David a pris Jérusalem : « On dit à David : Tu n’entreras ici qu’en écartant les aveugles et les boiteux. (…) David dit ce jour-là : Quant aux boiteux et aux aveugles, ils dégoutent David. » (2Sa5,6-8). En fait tout indique que l’oracle de Michée désapprouve une certaine manière d’envisager le messianisme davidique. De tous les descendants possibles de David, il faudra chercher une lignée improbable et oubliée dans une bourgade perdue. Quand David a fondé son règne par les armes, quitte à passer sur le corps des handicapés, tout en les méprisant, le Messie de Michée sera la paix, et il sera rejoint par des boiteux, celleux que Dieu aurait maltraité, qu’ont appellent souvent aujourd’hui « les blesséés de la vie ».
Il y a donc un débat qui
traverse la Bible : qui sera le Messie ? Certains répondent qu’il sera comme on s’idéalise
ce que fut David, un roi guerrier qui fondera un nouvel empire juif dont Jérusalem
sera la capitale, qui, pourquoi pas, rivalisera, ou même surpassera, Alexandre
et les Césars ; d’autres espèrent un Messie qui établira la paix sans
passer par la guerre, qui sera proche des méprisés, qui ne sera pas le champion
d’Israël pour le malheur des autres peuples, mais qui aura une portée
universelle. Déjà Osée annonçait : « La maison de Juda, je l’aimerai
et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu ; je ne les sauverai ni par
l’arc ni par l’épée ni par la guerre » (Os1,7). Jésus lui-même prendra
position dans ce débat : « Jésus leur posa cette question : ‘’Quelle
est votre opinion au sujet du Messie ? De qui est-il le fils ?’’ Ils
lui répondirent ‘’De David’’. Jésus leur
dit : ‘’Comment donc David, inspiré par l’Esprit, l’appelle-t-il Seigneur,
en disant : Le Seigneur a dit à mon
Seigneur : Siège à ma droite jusqu’à ce j’aie mis tes ennemis sous tes
pieds ? Si donc David l’appelle Seigneur, comment est-il son
fils ?’’ » (Mt 22,41-46). Ainsi, comme le rapportent les trois synoptiques
(aussi Mc12,35-37 et Lc20,41-44), Jésus nie que le Messie descende de David, et
donc qu’il s’inscrive dans le projet théologico-politique de restaurer l’empire
davidique. Alors pourquoi Matthieu insiste-t-il malgré tout sur sa filiation
davidique, à travers Joseph et à travers sa naissance á Bethléem ? Pour
subvertir complètement les idéologies politico-théologiques associées à
l’attente messianique davidique. Nous avons vu déjà comment la généalogie de Jésus-Christ rapportée par Matthieu subvertit la fascination pour une succession patrilinéaire. Matthieu aurait pu faire citer par les scribes la
prophétie de Natan (2Sa7), où le Seigneur demande à David de lui construire un
temple, et en échange lui promet que sa descendance règnera à jamais sur
Israël. C’est plutôt l’oracle de Michée qui est rapporté. Cet oracle s’enracine
dans plusieurs expériences féminines. La première, celle dont on peut dire que
seules les femmes peuvent la vivre, c’est l’enfantement. Puis c’est la peur du
viol, et dans ce cas d’un viol collectif. Situation typique des temps de
guerre. Puis le foulage des grains, travaux quotidiens, en général des femmes,
à la campagne. Et enfin la description d’une femme guerrière scarifiée :
« Maintenant, fais-toi des incisions, filles guerrières » (Mi4,14).
Etrangement, cette citation me fait penser à E, une femme que nous avons
accompagnée au Nid. Elle a été enfant-soldat en Afrique, et effectivement elle
portait des scarifications. Puis elle a été prostituée en France. Aujourd’hui
elle est sortie de la prostitution et lutte contre les peurs qui la hantent.
Pour moi, ce récit de Matthieu de la naissance de Jésus et de la visite des mages, et l’oracle de Michée que Matthieu fait citer par les scribes pour indiquer le lieu de la naissance, entrent en résonnance pour illustrer comment la naissance, l’enfantement, est le moment de grande précarité pour les femmes qui constitue la seule asymétrie réellement inscrite dans une différence biologique à l’origine des inégalités de genre. En effet, s’il y a rapport de force entre une femme et un homme, le temps de la grossesse, de la naissance et la vulnérabilité post-partum constitue un élément d’asymétrie pendant lequel l’homme peut l’emporter avec certitude. Encore faut-il qu’il y ait rapport de force, c'est-à-dire conflit systématique entre hommes et femmes. Si l’on suit la théorie d’Emmanuel Todd sur l’origine des systèmes familiaux, ce n’était pas le cas dans les plus anciennes sociétés humaines, puisqu’il s’agissait de sociétés bilatérales, c'est-à-dire de sociétés pour lesquelles il était indifférent que les enfants vivent et contribuent à la survie du clan paternel ou maternel. Au fur et á mesure de la complexification des systèmes familiaux, les familles paternelles et maternelles sont rentrées en conflit pour contrôler le destin de leur descendance. L’évolution vers de plus en plus de patrilinéarité peut s’expliquer par l’avantage que pouvait retirer les hommes de la faiblesse temporaire des femmes autour de la naissance. Malgré cette asymétrie, Todd montre que l’évolution vers la patrilinéarité rencontre beaucoup de résistance. Le niveau maximum de patrilinéarité n’est jamais atteint avant au moins trois millénaires de lente évolution des mentalités permettant de faire intérioriser tout à fait la violence et l’inégalité de genre aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Cette évolution vers plus de patrilinéarité se fait en synergie avec l’évolution vers des sociétés de plus en plus guerrières puis militarisées. C’est en effet par la répartition genrée des tâches entre les armes pour les hommes et la procréation pour les femmes que les sociétés patriarcales guerrières résolvent de manière doublement efficace leur conflit vers l’intérieur en faisant taire l’aspiration á l’égalité entre femmes et hommes et vers l’extérieur en devenant conquérant vis-à-vis des peuples voisins, et ce faisant en diffusant leur propre modèle social patriarcal et guerrier, le rendant évident parce que majoritaire.
L’attente messianique dont témoigne Michée affirme qu’une autre humanité est possible. Cette attente s’exprime par des expériences féminines liées de près à la soumission à une société patriarcale guerrière : les douleurs de l’enfantement, qui plus est dans la solitude : « Tords-toi de douleur et hurle, fille de Sion, comme la femme qui enfante, car maintenant tu vas sortir de la cité, tu vas demeurer dans les champs » (Mi4,10) et le viol collectif : « Et maintenant se sont rassemblées contre toi de nombreuses nations, celles qui disent : ‘’Qu’elle soit profanée ; et que nos yeux se repaissent de la vue de Sion’’ »(Mi4,11). Face à cette précarité existentielle à laquelle sont soumises les femmes dans de telles société, l’oracle donne à la « fille de Sion » des rôles où tout en restant clairement féminine, elle manifeste de la puissance : à travers son travail : « Debout, foule le grain, fille de Sion ; tes cornes, je les rendrai de fer, tes sabots, je les rendrai de bronze. Tu broieras des peuples nombreux » (Mi4,13, ici en prenant des attributs de vache, elle prend quasiment la place de Dieu, car selon, Thomas Römer, Yahwé portait les attribut d’une vache avant de devenir le Dieu unique d’Israël), et en devenant une guerrière. Cependant, la promesse que porte l’oracle de Michée n’est pas une revanche qui établira un règne de violence inversée. Au contraire, c’est la paix. Cette paix adviendra par un événement simple et pourtant merveilleux : « aux temps où enfantera celle qui doit enfanter » (Mi5,2). Le Messie sera accompagné de ce « qui subsistera de ses frères » (Mi5,2b), dont il est question au début de l’oracle, qui sont « ce qui boîte » et qui a été « maltraité » (Mi4,6). « Il se tiendra debout et fera paître son troupeau » (Mi5,3), « il sera la paix. » (Mi5,4).
Matthieu montre que l’oracle de la fille de Sion annoncé par Michée est accompli par le contraste entre la simplicité de la naissance de Jésus, qui est décrit de manière très succincte, et la grandeur des événements qui s’organisent autour de cette naissance : la cours et les grands prêtres de Jérusalem sont convoqués pour donner leur expertise, le Roi Hérode s’inquiète pour son règne, des mages font un grand voyage pour rendre hommage á un nouveau roi et jusqu’au cosmos qui est perturbé par l’apparition d’un nouvel astre annonçant la naissance messianique. Les mages rencontrent la mère et son enfant dans leur maison. Nul sentiment de crainte. Nul besoin que Joseph soit présent pour garantir leur sécurité. Les mages viennent en paix. Ellils rendent hommage et offrent des présents. Peut être peut-on voir dans ces présents un moyen de garantir une sécurité matérielle à la jeune mère. En tout cas pour ce qui est de l’or. C’est en tout cas ce qui se passe aujourd’hui encore quand on offre à un jeune couple le trousseau pour bien accueillir leur nouveau-néé. Paix, accueil, respect, sécurité aussi bien physique que matérielle, la visite des mages s’oppose point par point à tout ce que la naissance peut représenter de précarité. Ces représentanttes de l’humanité rendent réellement hommage à la venue du Messie, car ellils manifestent qu’une humanité où règne la paix est possible. Ellils ont pourtant été confrontéés à l’humanité violente. Ellils ont rencontré Hérode, le monarque dont on verra de quelle manière il accueille la naissance d’un petit enfant, de son Messie. Ils ont rencontré l’interprétation que ses scribes et ses grands prêtres font des écritures. Leur faisant dire la bonne localisation de la naissance, mais la tordant quand même pour qu’elle avalise la vision guerrière et patriarcale du messianisme davidique, plutôt que le messianisme subversif, pacifique et favorable à des relations égalitaires et réciproques entre femmes et hommes, telle que l’ont annoncé les prophètes Michée et Osée. Les mages « se retirèrent dans leur pays par un autre chemin » (Mt2,12). Ellils se sont définitivement détournéés de toute aspiration à une humanité gouvernée selon des principes patriarcaux et guerriers. La rencontre du Messie, du Christ pourra-t-elle nous convertir nous aussi ? Pour abandonner toutes fascinations envers la force des armes, le prestige des rois et des puissants, la conviction des « grands prêtres et des scribes » qui nous affirment que la « civilisation » qui les justifie doit persister comme elle est, voire même devenir encore plus conforme à leur idéal confortable pour eux-mêmes malgré les injustices pour tant d’autres qu’ils méprisent ?
mardi 16 juillet 2013
Joseph, l'anti-Adam, face à l'arbitraire des maris
Commentaire
féministe de la Bible – Matthieu 1,8-25
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.
L'arbitraire
des maris
Pour toute personne un peu engagée ou sensibilisée sur les
questions de violences conjugales, la lecture de la péricope où
Joseph accepte finalement d'accueillir Marie, quoiqu'elle soit
enceinte avant d'avoir habitée avec lui, suscite un malaise. Il est
dit de Joseph qu'il « était un homme juste » (Mt 1,19),
parce qu'il ne voulait pas « diffamer [Marie] publiquement »,
mais il comptait tout de même la répudier secrètement. Que ce
serait-il passé alors ? Marie se serait retrouvée fille-mère.
C'est-à-dire, dans la société de son époque, marginalisée, sans
parler de la précarité économique à laquelle elle serait
condamnée aujourd'hui encore. La situation que pouvait suspecter
Joseph est décrite dans le Deutéronome : si une jeune fille
vierge fiancée à quelqu'un est surprise avec un autre entrain de
coucher, si c'est dans la ville et que la fille ne s'est pas
défendue, n'a pas criée, ils seront lapidéés toutses les deux, si
c'est dans la campagne, on suppose qu'on n'a pas pu entendre les cris
de la fille, et seul l'homme est lapidé (Dt 22,23-27). Joseph n'a
pas surpris de « flagrant délit ». Mais le fait que
Marie soit enceinte démontre en toute logique que Marie a couché
avec un autre homme. Bien que chez Matthieu, il semblerait que Marie
et Joseph vivaient à Bethléem, donc en ville, au moment de la
naissance de Jésus, Joseph semble préférer appliquer la
jurisprudence de la campagne en ne « diffamant » pas
publiquement Marie, ce qui l'aurait condamnée à la lapidation. Mais
en même temps, dans son premier mouvement, il n'accorde pas à Marie
la possibilité d'avoir été violée, puisque dans ce cas elle
n'aurait pas été fautive de se retrouver enceinte, et rien ne
justifierait qu'il la répudie. Quoiqu'il en soit de la loi de
l'époque et de la manière avec laquelle elle était appliquée,
quoiqu'il en soit de la manière avec laquelle Joseph comptait
l'appliquer et ce qu'il en fit finalement en obéissant à l'ange, le
malaise que suscite la situation vient de l’asymétrie qu'il existe
entre Marie et Joseph. Marie dépend totalement de l'arbitraire
de Joseph, qu'il soit juste ou pas. D'abord le mariage qui était
prévu entre elleux ne semble pas avoir été un choix commun, mais
plutôt un mariage arrangé, pour ne pas dire forcé : « Marie
(…) était accordée en mariage à Joseph » (Mt1,18). Depuis
que ce mariage a été prévu, Marie, comme toutes les femmes de son
temps, est devenue comme la propriété de Joseph. Le décalogue,
dans le Deutéronome (Dt 5,18) comme dans l'Exode (Ex 20,14),
condamnent dans une même phrase le vol et la convoitise de la femme
de son prochain. Il y a asymétrie entre mari et femme, et la femme
est considérée comme la propriété de son mari. Le mot « mari »
se dit « Baal », c'est à dire « maître ».
C'est toujours le cas en israélien moderne.
Nous sommes dans une société particulièrement patriarcale, où la
domination masculine est acceptée et courante, inscrite dans la loi,
et la loi sacrée, et appliquée au quotidien. Joseph en tant
qu'homme fait donc partie des dominants. Une femme lui a été
accordée, déjà il en est le maître, le Baal, le propriétaire.
Comment agit-il depuis sa position de dominant?
L'évangile ne dit pas de lui qu'il est le maître de Marie, mais son
époux. Le vocable époux/épouse, au contraire du vocable
mari/femme, établi une symétrie et une réciprocité entre les
partenaires du couple. Y compris en hébreux ('.Y.Sh / Y.Sh.Ha). De
nombreux commentateurs y ont d'ailleurs trouvé un jeu de mot :
les deux mots comportent le même nombre de lettre, trois, mais
diffèrent chacun d'une lettre, Aleph chez 'Ych (époux), et He chez
YchHa (épouse). En réunissant les deux lettres qui manquent à
l'autre, on obtient HA, un des noms de Dieu, qu'on retrouve dans
AlleluyHA, ou même dans Jésus (JoshouHA). Pourtant Joseph, époux,
envisage de répudier Marie, son épouse. Ce faisant il agit de
manière « juste » au regard de la loi du Deutéronome.
Mais Jésus, le fils qu'il accueillera finalement, a pris position
vis-à-vis de cette loi qu'on attribuait à Moïse (Mt,5,31-32 ;
Mt19,1-12 ; Mc10,1-12 ; Lc16,18). Pour justifier le
contredit qu'il fait à la loi de Moïse, Jésus se réfère à la
création de l'humanité : « N'avez-vous pas lu que le
Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle et qu'il a dit :
C'est pourquoi l'homme s'attachera à sa femme, et les deux ne
feront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une
seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ! »
(Mt 19,4-6). Jésus fait donc la synthèse entre les deux mythes des
commencements : d'une part dans le récit de la création en
sept jours, l'humain a été créé mâle et femelle à l'image de
Dieu, et d'autre part dans le récit du jardin et du fruit, Adam
reconnaît en Ève « la chair de sa chair », il la nomme
alors « épouse » (YChHa), et se nomme lui-même
« époux » ('YCh).
Amour
originel entre épouxes
Le deuxième récit des commencements dans la Genèse est souvent lu
comme le mythe qui institue, ou justifie, l'infériorité des femmes
vis-à-vis des hommes. Or une lecture attentive de ce texte montre
que ce n'est pas le cas.
Le masculin ne précède pas le féminin dans l'ordre de la
création. Souvent on trouve prétexte à ce que Dieu ait d'abord
façonné l'adam pour dire que d'après « l'anthropologie
biblique » le masculin serait la forme primordiale de
l'humanité. Or ce qui sort de la glaise et du souffle de Dieu n'est
pas nommé « Adam », mais l'adam, ce qui veut dire
l'humain en général. Adam n'est utilisé comme un prénom que pour
nommer l'homme dont un côté a été retiré. Cette interprétation
est tout à fait traditionnelle, et l'on trouve des représentations
picturales du Moyen-Âge ou de la Renaissance qui retracent le récit
en représentant d'abord l'adam sous des traits androgynes, sans
poils, ni sexe, ni sein, puis après qu'Eve ait été créée, Adam
sous des traits masculins. Le deuxième récit de la Genèse propose
donc un mythe où l'humanité est d'abord androgyne, puis
l'homme/époux n'existe qu'une fois en face de la femme/épouse.
Détail de retable de Grabow (Maître Bertram, vers 1379) Kunsthalle de Hambourg |
Ève n'a pas été créée à partir d'une bout de côte, mais
« du côté ». On peut certes imaginé qu'il s'agit
d'un morceau retiré du flanc de l'adam, mais le plus simple est de
voir prendre la moitié.
Ève n'est pas cause de la chute, c'est la méfiance entre Adam et
Ève, et entre l'humanité et Dieu qui induit les souffrances. Le
serpent s'adresse à la femme en manipulant la parole de Dieu (« vous
ne mangerez pas de tout arbre du jardin » Gn3,1). Celle-ci lui
répond et commence par résister (« Nous pouvons manger du
fruit des arbres du jardin » Gn3,2), elle rétablit ce que Dieu
avait dit à l'adam (« Tu pourras manger de tout arbre du
jardin » Gn2,16). Ce faisant elle montre qu'elle est aussi
dépositaire des paroles divines adressées à l'humanité. Elle cède
à la suspicion que suggère le serpent quand il s'agit du seul arbre
dont Dieu a effectivement interdit de manger les fruits. Au moment où
elle prend du fruit interdit, elle en donne immédiatement à son
mari, dont il est dit qu'il « était avec elle ». Depuis
quand était-il avec elle ? N'était-il pas présent pendant
tout le dialogue avec le serpent ? Et il n'y a pas participé ?
En particulier, il aurait pu prêter main forte à Ève pour contrer
le doute qu'insinuait le serpent. Il était autant dépositaire
qu’Ève de la parole divine. L'expression populaire affirme « il
n'y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d'erreur », et
certains rajoutent « leur vie entière en est une ».
Toustes celleux qui ont interprété cette situation comme la
démonstration de la responsabilité et de la faiblesse des femmes
face au péché ne manquent pas de toupet ! Ève est la seule à
résister, à prendre le risque du doute, mais aussi de la défense
de la parole divine que quelques manipulations habiles rendent si
facilement contraire à ce qu'elle visait.
Le deuxième récit de la Genèse n'est pas l'explication d'une
faute originelle attachée à une prétendue essence féminine.
Ni une condamnation de l'humanité. Les malédictions qui sont
formulées en conclusion du récit ne sont pas des condamnations,
mais l'énoncé des conséquences quasi-mécaniques qui découlent de
la perte de confiance entre femmes et hommes, et de la perte de Foi
de la part de l'humanité vis-à-vis de Dieu. Après avoir mangé du
fruit, Ève et Adam se cachent de Dieu. Ils n'ont plus confiance en
leur dignité pour se laisser visiter par Dieu. Quand Dieu les trouve
néanmoins et s'adresse à elleux, nous assistons à des échanges de
lâchetés, Adam renvoie la responsabilité à Ève (il était
pourtant « avec elle »), puis Ève au serpent. Beaucoup
de commentateurs voient dans le serpent un symbole phallique. Mais
j'en ai entendu aucun aller jusqu'au bout de cette piste : le
seul qui dispose d'un phallus entre Adam et Ève, c'est Adam. Selon
cette interprétation on aurait donc Adam qui connaîtrait une sorte
de dédoublement de personnalité selon qu'il est dominé par son
phallus ou pas... En tout cas ce qui s'est passé avec la
consommation du fruit, c'est la perte de la Foi, l'introduction de la
méfiance, la manipulation de la parole de l'autre pour lui faire
dire autre chose que ce qu'il voulait dire. De cette situation
découlent toutes les violences : violence entre l'humanité et
les animaux devenus sauvages (« je mettrai une hostilité entre
[le serpent] et la femme » Gn3,15) ; violence dans la
sexualité (« [Le désir de la femme la] poussera vers [son]
homme et lui [la] dominera » Gn3,16) ; violence dans le
travail pour survivre...
Joseph,
l'anti-Adam
Ainsi, nommer systématiquement Joseph « époux de Marie »
(Mt1,16 ; Mt1,19) et Marie « épouse de Joseph »
(Mt1,20), suggère que ce couple reflète la réciprocité originelle
entre femme et homme, avant que s'introduise la méfiance et la
violence. Paul, et après lui la Tradition de l’Église, insiste
beaucoup sur la figure de Marie, comme anti-Ève, qui restaure la
faute qu'elle aurait commise, seule dans une perspective misogyne, au
jardin d’Éden. De son côté, l'évangile de Matthieu semble
faire le portrait d'un Joseph, anti-Adam. Il s'apprêtait à
commettre une violence misogyne, répudier son épouse. Un messager
de Dieu lui adresse la parole. Il écoute cette parole. Il lui fait
confiance.
Pourtant ce qui lui est dit est dur à entendre pour un homme
élevé dans une société patriarcale. Cela va contre la
prétention à être propriétaire de sa femme, et de contrôler tout
sur sa sexualité, son intimité, sa spiritualité et ses relations,
avant et après le mariage, puisqu'il lui ai dit que « ce qui a
été engendré en elle vient de l'Esprit-Saint » (Mt1,20).
Qu'est ce qui est plus dur à entendre et à accepter : que sa
femme, que tout pousse à considérer comme un être inférieur, sa
propriété, ait été « volé » par un autre homme,
ou bien qu'elle ait une vie intérieure propre, une relation
spirituelle avec le Seigneur telle qu'elle peut avoir une fécondité
que rien de matériel ne peut expliquer ? Cela va aussi contre
la gloriole des mâles de son époque, comme de la notre, qui
accordent tant d'importance à être le géniteur d'un fils par le
pouvoir de sa propre semence. Et enfin cette parole va contre
l'illusion que se font beaucoup de père que leur fils sera ni plus
ni moins un prolongement d'eux même : même sang, même métier,
parfois même nom... Non, ce fils, comme tous les enfants, dépassera
Joseph en humanité : « c'est lui qui sauvera son peuple
de ses péchés » (Mt1,21). L'ange du Seigneur commence son
message par « ne crains pas », pourtant il y a beaucoup à
craindre de ce message pour un homme habitué à la domination
masculine. Son épouse lui est confiée, elle ne lui appartient pas.
Son fils aussi lui est confié, il n'est pas le résultat de sa
virilité, et il ne sera pas l'image de son père, son prolongement,
il sera tout autre.
L'évangéliste commente de manière étrange le message du
Seigneur. Il cite Isaïe où il est dit que le fils conçu d'une
vierge sera appelé « Emmanuel », or il est demandé à
Joseph de l'appeler Jésus. Souvent on s'en tire en en appelant aux
étymologies. Emmanuel signifie « Dieu avec nous », et
Jésus « Dieu sauve ». Mais il y a tant de noms
théophores dans la Bible et au temps de Jésus, qu'on peut
considérer que deux prénoms pris aux hasards auraient toutes les
chances d'avoir le même lien. Plus étrange encore est le fait que
dans le message angélique, il est demandé à Joseph de donner le
nom de Jésus, tandis que la citation d'Isaïe donnée en commentaire
indique que « on donnera le nom d'Emmanuel ». Comme si la
foule reconnaîtra en Jésus un autre, plus que ce que Joseph aura
nommé. En tout cas le dialogue entre le message entendu en songe et
la référence au prophète donne une indication comment, en
certaines circonstances, on peut être amenéé à dire que « Dieu
nous parle ». Il s'agit d'une attitude d'écoute, écoute
de la situation (Joseph est en face d'un dilemme, Marie est enceinte
sans qu'il ait eu de relation avec elle, mais il ne lui veut pas du
mal, peut être a-t-il même de l'affection pour elle quand bien même
le mariage entre elleux serait arrangé, les conséquences pour Marie
de ce qu'il pourrait décider ne le laisse pas indifférent), écoute
de ce qui se passe dans son intimité (ce qui est toujours un
mystère, ce qui est ici rendu par les images du songe et de l'ange,
« ange » signifie « messager »), et écoute
des écritures, qui sont les témoins des expériences de Foi qui
nous ont précédées (pourquoi la parole d'Isaïe en particulier
émerge ? Plutôt que les lois qui traitent spécifiquement de
la question qui préoccupe Joseph ? Parce qu'il y est question
d'une vierge qui conçoit un enfant ?) . Ces éléments
néanmoins ne mènent pas à une évidence. Le nom qui lui est
suggéré dans le songe, et qu'il donnera à l'enfant, n'est pas
celui que propose le prophète. Se mettre à l'écoute, ce n'est pas
être obligé, pas même par une évidence logique. « Obéir »
signifie « écouter jusqu'au bout », mais cependant agir
librement. Quand il est dit que « Joseph fit ce que l'ange
du Seigneur lui avait prescrit » (Mt1,24), cela ne veut pas
dire qu'il s'est fait le pantin de Dieu. Il a agit librement. La
parole de l'ange est une invitation, pas un ordre : « ne
crains pas ». La citation biblique est un peu dissonante avec
ce qui a été entendu en songe. Il n'y a pas d'évidence qui
obligerait à se soumettre à la prescription. Mais l'écoute
attentive de ce qui a été dit à Joseph, cette juste obéissance,
le tourne vers la vie, vers l'accueil de son épouse et de son fils.
Le deuxième récit de Mathieu sur les origines de Jésus semble
bien pointer, en le reversant, le deuxième récit des origines de la
Genèse. En Matthieu, tout part du projet de Joseph de répudier
Marie, donc de participer à la violence de genre. En Genèse 2 et 3,
cela se termine par la mise en place de la violence de genre, le
désir de la femme la soumet à son mari. Un message venant du
Seigneur est adressé à Joseph, sous la forme d'un songe, et peut
être l'a-t-il mûri en méditant la parole du prophète Isaïe.
Joseph écoute cette parole divine. Adam reste silencieux pendant que
le serpent perverti la parole divine. Il ne prend pas la défense de
la parole que Dieu lui a confié. Puis, silencieusement, il mange du
fruit. Il ne reprend la parole que pour accuser sa femme. Joseph ne
parle pas, il n'accuse personne. Il agit, il accueille Marie. Joseph
« ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils ».
Alors qu'après avoir été chassé du jardin d’Éden, Adam
« connut Ève sa femme ». Le terme « connaître »
signifie en langage biblique avoir une relation biblique. Mais à
bien réfléchir à l'image, on se rend compte que ce terme pourrait
en fait désigner une certaine manière d'avoir des relations
sexuelles, et même une certaine manière d'avoir des relations en
général avec autrui. Qu'est-ce-que la démarche de connaître peut
avoir de commun avec la relation sexuelle ? Dans la
connaissance, d'une chose comme d'une personne, on peut avoir
l'impression de la contrôler cette chose, de pouvoir prévoir
comment elle réagira. On dit aussi en français « posséder »
quelqu'un pour euphémiser la relation sexuelle. Au contraire Joseph
accueille Marie dans sa maison sans la connaître. En prenant
naïvement l'expression « connaître », on peut aussi
entendre un respect du mystère que porte Marie. C'est une chose
qu'on peut expérimenter quand on cohabite avec quelqu'üne, même si
on n'a pas de relations sexuelles avec ellui. En partageant son
quotidien, en repérant ses habitudes, on peut être très vite amené
à penser qu'on connaît l'autre « par coeur », « comme
si on l'avait fait ». Et du coup à ne pas être disponible à
la surprise qu'ellil peut nous amener. Cette tentation est amplifié
dans un couple marié. Les rencontres sexuelles sont des moments
intenses où chacun livrent son intimité. L'üne et l'autre peuvent
avoir l'impression d'avoir eu un tel accès à l'autre qu'ellil ne
peut plus être surprisse par ellui. Ce qui n'est jamais juste.
Chacüne garde un mystère, qu'ellil ne peut même pas saisir
ellui-même. Matthieu ne rends pas compte de la tendresse qui a pu
exister ou non entre Marie et Joseph. Ce n'est pas son but qui est
théologique, et ce serait mal placé, comme à propos de l'intimité
de chacüne. Mais il me semble qu'en lisant entre les lignes, on peut
envisager une douce tendresse qui unissait Marie et Joseph. On le
verra encore dans les lignes suivantes, à travers les épreuves
qu'ellils traverseront ensemble. Chacüne, quand ellil est nomméé,
est systématiquement désignéé comme l'épouxe de l'autre. Le
projet qu'a envisagé Joseph dans un premier temps ne le laissait pas
tranquille. Certainement avait-il une affection pour Marie. Son sort
ne lui était pas indifférent. C'est ce tourment qui l'a ouvert à
entendre une parole en songe. Peut être scrutait-il à travers les
écritures, en lisant, de mémoire ou en interrogeant autour de lui,
pour trouver ce qui mettrait en défaut la dure loi deutéronomique ?
Dans le deuxième récit de la Genèse, Adam et Ève commencent par
se découvrir époux et épouse. Puis perdent la Foi, se méfient
l'üne de l'autre, et se retrouvent soumis à la violence et à la
souffrance. Joseph et Marie sont épouxes l'üne pour l'autre du
début à la fin du récit en Matthieu. Ils n'ont pas eu à
reconquérir l'état d'épouse et d'époux l'üne pour l'autre. La
violence de genre marque en profondeur l'humanité, mais la vocation
profonde de l'humanité reste la réciprocité et l'égale dignité
entre femmes et hommes. La disposition de chacüne à être
amoureux fait écho à l'intuition des auteurs de la Genèse qui ont
formulé le mythe des origines des relations entre femmes et hommes.
Cette ouverture à l'autre qui fait voir en ellui la chair de sa
chair, si autre et pourtant si proche de soi qu'on n'a l'impression
d'être soi-même qu'à ses côtés, c'est le cri d'Adam se
réveillant au côté d’Ève : « voici cette fois l'os
de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn2,23). La Bible
témoigne ailleurs de cet universel : dans le Cantique des
cantiques, deux jeunes gens s'aiment, et ce poème d'amour symbolise
l'amour de Dieu pour l'humanité. Dans le Cantique des cantiques, là
aussi l'amour renverse la malédiction de la violence de genre,
puisque la femme affirme : « Je suis à mon chéri, et mon
chéri est à moi » (Ct6,3), « Je suis à mon bien-aimé
et vers moi est son désir » (Ct7,11). Ce n'est plus la femme
qui est soumise à son mari par son désir. Le désir est réciproque
et l'üne et l'autre disent appartenir à l'autre. Joseph et Marie
sont époux et épouse l'üne envers l'autre. Mais au contraire de
l'insouciance et de l'abandon au plaisir des sens que témoignent les
amoureux du Cantique des cantiques, ellils doivent faire face à des
structures qui exigent d'elleux de se comporter comme maître et
femme, comme Baal et propriété soumise. La difficulté de Joseph
est grande. Il dispose de la position du dominant. Il aurait tout le
confort de se comporter comme un maître viril. Répudier Marie
n'aurait eu aucune conséquences sur sa vie matérielle. La loi
sacrée l'encourageait même à assumer ce rôle brutal. Au
contraire, au fond de lui, il se sentait l'époux de Marie, et non
son Baal. Obéissant à Dieu, il se comportera comme un époux.
Enfin, étrangement, les deux récits des origines semblent
converger. Marie s'est « trouvée enceinte par le fait de
l'Esprit-Saint ». Et Ève déclare à la naissance de Caïn :
« J'ai procréé un homme, avec le Seigneur » (Gn4,1b).
Peut être un souvenir dans la Bible du temps où on n'identifiait
pas le lien de cause à effet entre la relation sexuelle et la
grossesse ? En tout cas, on peut entendre que toute naissance
est un mystère. Que l'enfant à venir n'est pas limité aux
déterminismes qu'on voudrait lui attribuait, ni par sa génétique
et sa filiation biologique, que certains cherchent depuis peu à
sacraliser, ni par les déterminismes sociologiques ou autres. Comme
le chante le Psaume « C'est toi qui as créé mes reins ;
tu m'abritais dans le sein maternel. Je confesse que je suis une
vraie merveille, tes œuvres sont prodigieuses : oui je le
reconnais bien. » (Ps139,13-14).
Conclusion
_ parallèles entres les origines de Jésus en Matthieu et origines
de l'humanité en Genèse.
Matthieu connaît l'Ancien Testament (« La Loi et les
Prophètes ») et s'adresse à un milieu judaïque qui en est
aussi imprégné. La philologie a identifié que la Genèse s'ouvre
avec deux récits des commencements. Le premier relate la création
en sept jours. Les spécialistes nomment son auteur P (« prêtres »).
Le second nous raconte la création dans le jardin d’Éden. Il
serait l’œuvre de J, pour yahviste, puisqu'il nomme Dieu
« Yahwé ». Les deux textes sont accolés. Ils ne sont
pas destinés à raconter les origines du monde et de l'humanité de
manière cohérente pour l'histoire et la science. Ils proposent
néanmoins chacun à leur manière une vision de l'humain qui renvoie
au divin. Il s'agit à chaque fois de dire Dieu en disant l'humain,
comme de dire läe Divain en disant l'humain.
Dans le premier récit de la genèse, l'humain est crééé mâle et
femelle dès le début, et ainsi ellil est à l'image de Dieu.
L'auteur P, sacerdotal, continue le récit avec la généalogie
d'Adam en Gn5. On y apprend que l'image et la ressemblance de Dieu
s'accomplit aussi en engendrant, c'est-à-dire en donnant naissance,
biologiquement, et en donnant un nom, c'est-à-dire en inscrivant la
nouvelle génération dans l'humanité. C'est ce que je propose
d'appeler l'anthropologie-théologie septadienne.
Le deuxième récit se situe dans le jardin d’Éden. Petite
indication qu'il y a hiatus logique entre les deux : il faut
créer à nouveaux l'humain et les animaux. Il ne s'agit pas de
rentrer dans les détails de ce qu'il s'est passé au sixième jour
du récit précédent, puisque les animaux étaient crééés avant
l'humain, alors que, dans le jardin d’Éden, ellils sont crééés
ensuite pour « lui faire une aide qui lui soit accordée ».
Dans ce deuxième récit, l'humain semble être d'abord crééé
androgyne. Puis comme aucun animal ne lui correspond, on retire le
côté (la moitié?). Adam se réveille face à Ève. Il la nomme
« épouse », et se faisant il se nomme aussi « époux ».
L'étymologie des mots époux/épouse en hébreux peut suggérer la
même idée que dans l'anthropologie-théologie septadienne, à
savoir que pour dire Dieu, HA, il faut que l'épouse et l'époux soit
ensemble, et apportent chacüne la lettre qui manque à l'autre. On
va néanmoins déjà plus loin. Le jeu entre le féminin et le
masculin est intrinsèquement lié au manque. C'est à partir d'un
côté de l'adam (l'humain) qu'est suscitée Ève. On a alors aussi
au centre de la relation entre femme et homme l'altérité.
L'humanité est autre à elle-même. Personne, seulle, ne peut
représenter toute l'humanité. A bien y considérer deux ne
suffisent pas plus. Les altérités en humanité ne se résument pas
à la différence des sexes. Nous sommes traverséés par des
différences d'âge, d'aspect physique, d'histoire, de culture,
d'orientation sexuelle, etc. Dire que l'humanité ne peut être
envisagée qu'en l'envisageant autant féminine que masculine, c'est
dire qu'on ne peut laisser de côté la moindre parcelle d'humanité.
Cette anthropologie-théologie, qui pose comme originelle la
réciprocité et l'égale dignité entre femmes et hommes, je propose
de l'appeler édénique.
Cette manière de distinguer deux récits aux commencements peut
paraître surprenant et tirée par les cheveux, tant on a l'habitude
d'envisager ce texte de la Genèse comme un récit lisse. Pourtant
Matthieu semble bien avoir eu conscience de ce hiatus. Pourquoi sinon
répète-t-il deux fois « Livre des origines de Jésus-Christ »
(Mt1,1) puis « Voici qu'elle fut l'origine de Jésus-Christ »
(Mt1,18) ? De plus à la fin de la généalogie, il incite sur
le chiffre 7 : 3 fois 14 générations entre Abraham et le
Christ (Mt1,17), ce qui fait qu'avec Jésus commence le septième
septennat de génération. Si on doute de la significativité de ces
jeux arithmétiques, en tout cas il reste clairement que, dans la
première partie des origines de Jésus, Matthieu suit le modèle de
généalogie du texte sacerdotal, quoiqu'il en subvertisse
radicalement la patrilinéarité (voir commentaire précédent). Les
généalogies sacerdotales de la Genèse cessent avec Abraham.
Matthieu reprend depuis Abraham, contrairement à Luc qui propose une
généalogie depuis Adam (Lc3,23-38). Pour le second récit des
origines de Jésus, le texte est encadré par la mention
« époux/épouse de ». On peut aussi voir dans l'Ange la
référence aux Kéroubim placés par Dieu pour défendre l'accès au
jardin d'Eden (Gn3,24). Enfin la dernière phrase en Matthieu fait un
(anti-)parallèle parfait avec la phrase qui commence l'histoire
d'Abel et Caïn : « Il prit chez lui son épouse, mais il
ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il
donna le nom de Jésus » (Mt1,25) // « L'homme connut Ève
sa femme. Elle devint enceinte, enfanta Caïn. » (Gn4,1). Il
semblerait que Matthieu savait que la Genèse présentait deux récits
distincts des commencements, et qu'il fallait en rédiger aussi deux
pour montrer que Jésus en était l'accomplissement. Ce qui n'est
pas le cas des créationnistes dont la plus grande bêtise n'est peut
être pas de prétendre qu'il existerait une théorie de la création
qui aurait la même légitimité scientifique à être enseignée que
la « théorie de l'évolution », mais de croire qu'à
partir des textes bibliques, il serait possible de formuler une
théorie scientifique et historique des origines du monde et de
l'humanité. Cependant ces deux récits ont une cohérence commune.
C'est Jésus-Christ lui même qui nous en donne la clef herméneutique
quand il répond aux pharisiens qui tentent de le piéger en lui
soumettant le problème de la répudiation. Les
anthropologies-théologies septadienne et édénique se rejoignent
pour affirmer que le féminin et le masculin doivent être considérés
à égalité pour envisager l'humanité à l'image de Dieu. Les
violences de genre défigurent cette humanité, et rendent
méconnaissables Dieu, y compris dans les écritures que l'on se met
à interpréter de manière misogyne.
Joseph a été un homme qui s'est comporté en époux. Il
n'est pas extraordinaire. Ces ancêtres ont été nombreux à se
comporter de manière tout à fait machiste, comme le montre sa
généalogie. Autour de lui, les valeurs de la civilisation étaient
massivement patriarcales. Mais au fond de lui, il ressentait cette
état de fait comme injuste. Or « il était juste ». En
se mettant à l'écoute de la parole de Dieu, à travers le visage de
Marie qu'il aimait et avec qui il ne pouvait être injuste, à
travers la parole mystérieuse entendue dans l'intimité d'un songe,
et à travers la parole transmise dans les écritures, Joseph s'est
fait obéissant. Et il a accueilli la Vie. Il n'a pas été un
obstacle à l'Incarnation.
Prions pour la conversion des hommes enfermés dans leur position
de dominant. Qu'ils reçoivent la grâce d'être des époux, au
service de l'accueil de la Vie.
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