mardi 16 juillet 2013

Joseph, l'anti-Adam, face à l'arbitraire des maris


Commentaire féministe de la Bible – Matthieu 1,8-25
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.


L'arbitraire des maris

Pour toute personne un peu engagée ou sensibilisée sur les questions de violences conjugales, la lecture de la péricope où Joseph accepte finalement d'accueillir Marie, quoiqu'elle soit enceinte avant d'avoir habitée avec lui, suscite un malaise. Il est dit de Joseph qu'il « était un homme juste » (Mt 1,19), parce qu'il ne voulait pas « diffamer [Marie] publiquement », mais il comptait tout de même la répudier secrètement. Que ce serait-il passé alors ? Marie se serait retrouvée fille-mère. C'est-à-dire, dans la société de son époque, marginalisée, sans parler de la précarité économique à laquelle elle serait condamnée aujourd'hui encore. La situation que pouvait suspecter Joseph est décrite dans le Deutéronome : si une jeune fille vierge fiancée à quelqu'un est surprise avec un autre entrain de coucher, si c'est dans la ville et que la fille ne s'est pas défendue, n'a pas criée, ils seront lapidéés toutses les deux, si c'est dans la campagne, on suppose qu'on n'a pas pu entendre les cris de la fille, et seul l'homme est lapidé (Dt 22,23-27). Joseph n'a pas surpris de « flagrant délit ». Mais le fait que Marie soit enceinte démontre en toute logique que Marie a couché avec un autre homme. Bien que chez Matthieu, il semblerait que Marie et Joseph vivaient à Bethléem, donc en ville, au moment de la naissance de Jésus, Joseph semble préférer appliquer la jurisprudence de la campagne en ne « diffamant » pas publiquement Marie, ce qui l'aurait condamnée à la lapidation. Mais en même temps, dans son premier mouvement, il n'accorde pas à Marie la possibilité d'avoir été violée, puisque dans ce cas elle n'aurait pas été fautive de se retrouver enceinte, et rien ne justifierait qu'il la répudie. Quoiqu'il en soit de la loi de l'époque et de la manière avec laquelle elle était appliquée, quoiqu'il en soit de la manière avec laquelle Joseph comptait l'appliquer et ce qu'il en fit finalement en obéissant à l'ange, le malaise que suscite la situation vient de l’asymétrie qu'il existe entre Marie et Joseph. Marie dépend totalement de l'arbitraire de Joseph, qu'il soit juste ou pas. D'abord le mariage qui était prévu entre elleux ne semble pas avoir été un choix commun, mais plutôt un mariage arrangé, pour ne pas dire forcé : « Marie (…) était accordée en mariage à Joseph » (Mt1,18). Depuis que ce mariage a été prévu, Marie, comme toutes les femmes de son temps, est devenue comme la propriété de Joseph. Le décalogue, dans le Deutéronome (Dt 5,18) comme dans l'Exode (Ex 20,14), condamnent dans une même phrase le vol et la convoitise de la femme de son prochain. Il y a asymétrie entre mari et femme, et la femme est considérée comme la propriété de son mari. Le mot « mari » se dit « Baal », c'est à dire « maître ». C'est toujours le cas en israélien moderne.
Nous sommes dans une société particulièrement patriarcale, où la domination masculine est acceptée et courante, inscrite dans la loi, et la loi sacrée, et appliquée au quotidien. Joseph en tant qu'homme fait donc partie des dominants. Une femme lui a été accordée, déjà il en est le maître, le Baal, le propriétaire. Comment agit-il depuis sa position de dominant? L'évangile ne dit pas de lui qu'il est le maître de Marie, mais son époux. Le vocable époux/épouse, au contraire du vocable mari/femme, établi une symétrie et une réciprocité entre les partenaires du couple. Y compris en hébreux ('.Y.Sh / Y.Sh.Ha). De nombreux commentateurs y ont d'ailleurs trouvé un jeu de mot : les deux mots comportent le même nombre de lettre, trois, mais diffèrent chacun d'une lettre, Aleph chez 'Ych (époux), et He chez YchHa (épouse). En réunissant les deux lettres qui manquent à l'autre, on obtient HA, un des noms de Dieu, qu'on retrouve dans AlleluyHA, ou même dans Jésus (JoshouHA). Pourtant Joseph, époux, envisage de répudier Marie, son épouse. Ce faisant il agit de manière « juste » au regard de la loi du Deutéronome. Mais Jésus, le fils qu'il accueillera finalement, a pris position vis-à-vis de cette loi qu'on attribuait à Moïse (Mt,5,31-32 ; Mt19,1-12 ; Mc10,1-12 ; Lc16,18). Pour justifier le contredit qu'il fait à la loi de Moïse, Jésus se réfère à la création de l'humanité : « N'avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle et qu'il a dit : C'est pourquoi l'homme s'attachera à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » (Mt 19,4-6). Jésus fait donc la synthèse entre les deux mythes des commencements : d'une part dans le récit de la création en sept jours, l'humain a été créé mâle et femelle à l'image de Dieu, et d'autre part dans le récit du jardin et du fruit, Adam reconnaît en Ève « la chair de sa chair », il la nomme alors « épouse » (YChHa), et se nomme lui-même « époux » ('YCh).

Amour originel entre épouxes

Le deuxième récit des commencements dans la Genèse est souvent lu comme le mythe qui institue, ou justifie, l'infériorité des femmes vis-à-vis des hommes. Or une lecture attentive de ce texte montre que ce n'est pas le cas.
Le masculin ne précède pas le féminin dans l'ordre de la création. Souvent on trouve prétexte à ce que Dieu ait d'abord façonné l'adam pour dire que d'après « l'anthropologie biblique » le masculin serait la forme primordiale de l'humanité. Or ce qui sort de la glaise et du souffle de Dieu n'est pas nommé « Adam », mais l'adam, ce qui veut dire l'humain en général. Adam n'est utilisé comme un prénom que pour nommer l'homme dont un côté a été retiré. Cette interprétation est tout à fait traditionnelle, et l'on trouve des représentations picturales du Moyen-Âge ou de la Renaissance qui retracent le récit en représentant d'abord l'adam sous des traits androgynes, sans poils, ni sexe, ni sein, puis après qu'Eve ait été créée, Adam sous des traits masculins. Le deuxième récit de la Genèse propose donc un mythe où l'humanité est d'abord androgyne, puis l'homme/époux n'existe qu'une fois en face de la femme/épouse.

Détail de retable de Grabow (Maître Bertram, vers 1379) Kunsthalle de Hambourg

Ève n'a pas été créée à partir d'une bout de côte, mais « du côté ». On peut certes imaginé qu'il s'agit d'un morceau retiré du flanc de l'adam, mais le plus simple est de voir prendre la moitié.
Ève n'est pas cause de la chute, c'est la méfiance entre Adam et Ève, et entre l'humanité et Dieu qui induit les souffrances. Le serpent s'adresse à la femme en manipulant la parole de Dieu (« vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin » Gn3,1). Celle-ci lui répond et commence par résister (« Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin » Gn3,2), elle rétablit ce que Dieu avait dit à l'adam (« Tu pourras manger de tout arbre du jardin » Gn2,16). Ce faisant elle montre qu'elle est aussi dépositaire des paroles divines adressées à l'humanité. Elle cède à la suspicion que suggère le serpent quand il s'agit du seul arbre dont Dieu a effectivement interdit de manger les fruits. Au moment où elle prend du fruit interdit, elle en donne immédiatement à son mari, dont il est dit qu'il « était avec elle ». Depuis quand était-il avec elle ? N'était-il pas présent pendant tout le dialogue avec le serpent ? Et il n'y a pas participé ? En particulier, il aurait pu prêter main forte à Ève pour contrer le doute qu'insinuait le serpent. Il était autant dépositaire qu’Ève de la parole divine. L'expression populaire affirme « il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d'erreur », et certains rajoutent « leur vie entière en est une ». Toustes celleux qui ont interprété cette situation comme la démonstration de la responsabilité et de la faiblesse des femmes face au péché ne manquent pas de toupet ! Ève est la seule à résister, à prendre le risque du doute, mais aussi de la défense de la parole divine que quelques manipulations habiles rendent si facilement contraire à ce qu'elle visait.
Le deuxième récit de la Genèse n'est pas l'explication d'une faute originelle attachée à une prétendue essence féminine. Ni une condamnation de l'humanité. Les malédictions qui sont formulées en conclusion du récit ne sont pas des condamnations, mais l'énoncé des conséquences quasi-mécaniques qui découlent de la perte de confiance entre femmes et hommes, et de la perte de Foi de la part de l'humanité vis-à-vis de Dieu. Après avoir mangé du fruit, Ève et Adam se cachent de Dieu. Ils n'ont plus confiance en leur dignité pour se laisser visiter par Dieu. Quand Dieu les trouve néanmoins et s'adresse à elleux, nous assistons à des échanges de lâchetés, Adam renvoie la responsabilité à Ève (il était pourtant « avec elle »), puis Ève au serpent. Beaucoup de commentateurs voient dans le serpent un symbole phallique. Mais j'en ai entendu aucun aller jusqu'au bout de cette piste : le seul qui dispose d'un phallus entre Adam et Ève, c'est Adam. Selon cette interprétation on aurait donc Adam qui connaîtrait une sorte de dédoublement de personnalité selon qu'il est dominé par son phallus ou pas... En tout cas ce qui s'est passé avec la consommation du fruit, c'est la perte de la Foi, l'introduction de la méfiance, la manipulation de la parole de l'autre pour lui faire dire autre chose que ce qu'il voulait dire. De cette situation découlent toutes les violences : violence entre l'humanité et les animaux devenus sauvages (« je mettrai une hostilité entre [le serpent] et la femme » Gn3,15) ; violence dans la sexualité (« [Le désir de la femme la] poussera vers [son] homme et lui [la] dominera » Gn3,16) ; violence dans le travail pour survivre...

Joseph, l'anti-Adam

Ainsi, nommer systématiquement Joseph « époux de Marie » (Mt1,16 ; Mt1,19) et Marie « épouse de Joseph » (Mt1,20), suggère que ce couple reflète la réciprocité originelle entre femme et homme, avant que s'introduise la méfiance et la violence. Paul, et après lui la Tradition de l’Église, insiste beaucoup sur la figure de Marie, comme anti-Ève, qui restaure la faute qu'elle aurait commise, seule dans une perspective misogyne, au jardin d’Éden. De son côté, l'évangile de Matthieu semble faire le portrait d'un Joseph, anti-Adam. Il s'apprêtait à commettre une violence misogyne, répudier son épouse. Un messager de Dieu lui adresse la parole. Il écoute cette parole. Il lui fait confiance.
Pourtant ce qui lui est dit est dur à entendre pour un homme élevé dans une société patriarcale. Cela va contre la prétention à être propriétaire de sa femme, et de contrôler tout sur sa sexualité, son intimité, sa spiritualité et ses relations, avant et après le mariage, puisqu'il lui ai dit que « ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit-Saint » (Mt1,20). Qu'est ce qui est plus dur à entendre et à accepter : que sa femme, que tout pousse à considérer comme un être inférieur, sa propriété, ait été « volé » par un autre homme, ou bien qu'elle ait une vie intérieure propre, une relation spirituelle avec le Seigneur telle qu'elle peut avoir une fécondité que rien de matériel ne peut expliquer ? Cela va aussi contre la gloriole des mâles de son époque, comme de la notre, qui accordent tant d'importance à être le géniteur d'un fils par le pouvoir de sa propre semence. Et enfin cette parole va contre l'illusion que se font beaucoup de père que leur fils sera ni plus ni moins un prolongement d'eux même : même sang, même métier, parfois même nom... Non, ce fils, comme tous les enfants, dépassera Joseph en humanité : « c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt1,21). L'ange du Seigneur commence son message par « ne crains pas », pourtant il y a beaucoup à craindre de ce message pour un homme habitué à la domination masculine. Son épouse lui est confiée, elle ne lui appartient pas. Son fils aussi lui est confié, il n'est pas le résultat de sa virilité, et il ne sera pas l'image de son père, son prolongement, il sera tout autre.
L'évangéliste commente de manière étrange le message du Seigneur. Il cite Isaïe où il est dit que le fils conçu d'une vierge sera appelé « Emmanuel », or il est demandé à Joseph de l'appeler Jésus. Souvent on s'en tire en en appelant aux étymologies. Emmanuel signifie « Dieu avec nous », et Jésus « Dieu sauve ». Mais il y a tant de noms théophores dans la Bible et au temps de Jésus, qu'on peut considérer que deux prénoms pris aux hasards auraient toutes les chances d'avoir le même lien. Plus étrange encore est le fait que dans le message angélique, il est demandé à Joseph de donner le nom de Jésus, tandis que la citation d'Isaïe donnée en commentaire indique que « on donnera le nom d'Emmanuel ». Comme si la foule reconnaîtra en Jésus un autre, plus que ce que Joseph aura nommé. En tout cas le dialogue entre le message entendu en songe et la référence au prophète donne une indication comment, en certaines circonstances, on peut être amenéé à dire que « Dieu nous parle ». Il s'agit d'une attitude d'écoute, écoute de la situation (Joseph est en face d'un dilemme, Marie est enceinte sans qu'il ait eu de relation avec elle, mais il ne lui veut pas du mal, peut être a-t-il même de l'affection pour elle quand bien même le mariage entre elleux serait arrangé, les conséquences pour Marie de ce qu'il pourrait décider ne le laisse pas indifférent), écoute de ce qui se passe dans son intimité (ce qui est toujours un mystère, ce qui est ici rendu par les images du songe et de l'ange, « ange » signifie « messager »), et écoute des écritures, qui sont les témoins des expériences de Foi qui nous ont précédées (pourquoi la parole d'Isaïe en particulier émerge ? Plutôt que les lois qui traitent spécifiquement de la question qui préoccupe Joseph ? Parce qu'il y est question d'une vierge qui conçoit un enfant ?) . Ces éléments néanmoins ne mènent pas à une évidence. Le nom qui lui est suggéré dans le songe, et qu'il donnera à l'enfant, n'est pas celui que propose le prophète. Se mettre à l'écoute, ce n'est pas être obligé, pas même par une évidence logique. « Obéir » signifie « écouter jusqu'au bout », mais cependant agir librement. Quand il est dit que « Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit » (Mt1,24), cela ne veut pas dire qu'il s'est fait le pantin de Dieu. Il a agit librement. La parole de l'ange est une invitation, pas un ordre : « ne crains pas ». La citation biblique est un peu dissonante avec ce qui a été entendu en songe. Il n'y a pas d'évidence qui obligerait à se soumettre à la prescription. Mais l'écoute attentive de ce qui a été dit à Joseph, cette juste obéissance, le tourne vers la vie, vers l'accueil de son épouse et de son fils.
Le deuxième récit de Mathieu sur les origines de Jésus semble bien pointer, en le reversant, le deuxième récit des origines de la Genèse. En Matthieu, tout part du projet de Joseph de répudier Marie, donc de participer à la violence de genre. En Genèse 2 et 3, cela se termine par la mise en place de la violence de genre, le désir de la femme la soumet à son mari. Un message venant du Seigneur est adressé à Joseph, sous la forme d'un songe, et peut être l'a-t-il mûri en méditant la parole du prophète Isaïe. Joseph écoute cette parole divine. Adam reste silencieux pendant que le serpent perverti la parole divine. Il ne prend pas la défense de la parole que Dieu lui a confié. Puis, silencieusement, il mange du fruit. Il ne reprend la parole que pour accuser sa femme. Joseph ne parle pas, il n'accuse personne. Il agit, il accueille Marie. Joseph « ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils ». Alors qu'après avoir été chassé du jardin d’Éden, Adam « connut Ève sa femme ». Le terme « connaître » signifie en langage biblique avoir une relation biblique. Mais à bien réfléchir à l'image, on se rend compte que ce terme pourrait en fait désigner une certaine manière d'avoir des relations sexuelles, et même une certaine manière d'avoir des relations en général avec autrui. Qu'est-ce-que la démarche de connaître peut avoir de commun avec la relation sexuelle ? Dans la connaissance, d'une chose comme d'une personne, on peut avoir l'impression de la contrôler cette chose, de pouvoir prévoir comment elle réagira. On dit aussi en français « posséder » quelqu'un pour euphémiser la relation sexuelle. Au contraire Joseph accueille Marie dans sa maison sans la connaître. En prenant naïvement l'expression « connaître », on peut aussi entendre un respect du mystère que porte Marie. C'est une chose qu'on peut expérimenter quand on cohabite avec quelqu'üne, même si on n'a pas de relations sexuelles avec ellui. En partageant son quotidien, en repérant ses habitudes, on peut être très vite amené à penser qu'on connaît l'autre « par coeur », « comme si on l'avait fait ». Et du coup à ne pas être disponible à la surprise qu'ellil peut nous amener. Cette tentation est amplifié dans un couple marié. Les rencontres sexuelles sont des moments intenses où chacun livrent son intimité. L'üne et l'autre peuvent avoir l'impression d'avoir eu un tel accès à l'autre qu'ellil ne peut plus être surprisse par ellui. Ce qui n'est jamais juste. Chacüne garde un mystère, qu'ellil ne peut même pas saisir ellui-même. Matthieu ne rends pas compte de la tendresse qui a pu exister ou non entre Marie et Joseph. Ce n'est pas son but qui est théologique, et ce serait mal placé, comme à propos de l'intimité de chacüne. Mais il me semble qu'en lisant entre les lignes, on peut envisager une douce tendresse qui unissait Marie et Joseph. On le verra encore dans les lignes suivantes, à travers les épreuves qu'ellils traverseront ensemble. Chacüne, quand ellil est nomméé, est systématiquement désignéé comme l'épouxe de l'autre. Le projet qu'a envisagé Joseph dans un premier temps ne le laissait pas tranquille. Certainement avait-il une affection pour Marie. Son sort ne lui était pas indifférent. C'est ce tourment qui l'a ouvert à entendre une parole en songe. Peut être scrutait-il à travers les écritures, en lisant, de mémoire ou en interrogeant autour de lui, pour trouver ce qui mettrait en défaut la dure loi deutéronomique ?
Dans le deuxième récit de la Genèse, Adam et Ève commencent par se découvrir époux et épouse. Puis perdent la Foi, se méfient l'üne de l'autre, et se retrouvent soumis à la violence et à la souffrance. Joseph et Marie sont épouxes l'üne pour l'autre du début à la fin du récit en Matthieu. Ils n'ont pas eu à reconquérir l'état d'épouse et d'époux l'üne pour l'autre. La violence de genre marque en profondeur l'humanité, mais la vocation profonde de l'humanité reste la réciprocité et l'égale dignité entre femmes et hommes. La disposition de chacüne à être amoureux fait écho à l'intuition des auteurs de la Genèse qui ont formulé le mythe des origines des relations entre femmes et hommes. Cette ouverture à l'autre qui fait voir en ellui la chair de sa chair, si autre et pourtant si proche de soi qu'on n'a l'impression d'être soi-même qu'à ses côtés, c'est le cri d'Adam se réveillant au côté d’Ève : « voici cette fois l'os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn2,23). La Bible témoigne ailleurs de cet universel : dans le Cantique des cantiques, deux jeunes gens s'aiment, et ce poème d'amour symbolise l'amour de Dieu pour l'humanité. Dans le Cantique des cantiques, là aussi l'amour renverse la malédiction de la violence de genre, puisque la femme affirme : « Je suis à mon chéri, et mon chéri est à moi » (Ct6,3), « Je suis à mon bien-aimé et vers moi est son désir » (Ct7,11). Ce n'est plus la femme qui est soumise à son mari par son désir. Le désir est réciproque et l'üne et l'autre disent appartenir à l'autre. Joseph et Marie sont époux et épouse l'üne envers l'autre. Mais au contraire de l'insouciance et de l'abandon au plaisir des sens que témoignent les amoureux du Cantique des cantiques, ellils doivent faire face à des structures qui exigent d'elleux de se comporter comme maître et femme, comme Baal et propriété soumise. La difficulté de Joseph est grande. Il dispose de la position du dominant. Il aurait tout le confort de se comporter comme un maître viril. Répudier Marie n'aurait eu aucune conséquences sur sa vie matérielle. La loi sacrée l'encourageait même à assumer ce rôle brutal. Au contraire, au fond de lui, il se sentait l'époux de Marie, et non son Baal. Obéissant à Dieu, il se comportera comme un époux.
Enfin, étrangement, les deux récits des origines semblent converger. Marie s'est « trouvée enceinte par le fait de l'Esprit-Saint ». Et Ève déclare à la naissance de Caïn : « J'ai procréé un homme, avec le Seigneur » (Gn4,1b). Peut être un souvenir dans la Bible du temps où on n'identifiait pas le lien de cause à effet entre la relation sexuelle et la grossesse ? En tout cas, on peut entendre que toute naissance est un mystère. Que l'enfant à venir n'est pas limité aux déterminismes qu'on voudrait lui attribuait, ni par sa génétique et sa filiation biologique, que certains cherchent depuis peu à sacraliser, ni par les déterminismes sociologiques ou autres. Comme le chante le Psaume « C'est toi qui as créé mes reins ; tu m'abritais dans le sein maternel. Je confesse que je suis une vraie merveille, tes œuvres sont prodigieuses : oui je le reconnais bien. » (Ps139,13-14).

Conclusion _ parallèles entres les origines de Jésus en Matthieu et origines de l'humanité en Genèse.

Matthieu connaît l'Ancien Testament (« La Loi et les Prophètes ») et s'adresse à un milieu judaïque qui en est aussi imprégné. La philologie a identifié que la Genèse s'ouvre avec deux récits des commencements. Le premier relate la création en sept jours. Les spécialistes nomment son auteur P (« prêtres »). Le second nous raconte la création dans le jardin d’Éden. Il serait l’œuvre de J, pour yahviste, puisqu'il nomme Dieu « Yahwé ». Les deux textes sont accolés. Ils ne sont pas destinés à raconter les origines du monde et de l'humanité de manière cohérente pour l'histoire et la science. Ils proposent néanmoins chacun à leur manière une vision de l'humain qui renvoie au divin. Il s'agit à chaque fois de dire Dieu en disant l'humain, comme de dire läe Divain en disant l'humain.
Dans le premier récit de la genèse, l'humain est crééé mâle et femelle dès le début, et ainsi ellil est à l'image de Dieu. L'auteur P, sacerdotal, continue le récit avec la généalogie d'Adam en Gn5. On y apprend que l'image et la ressemblance de Dieu s'accomplit aussi en engendrant, c'est-à-dire en donnant naissance, biologiquement, et en donnant un nom, c'est-à-dire en inscrivant la nouvelle génération dans l'humanité. C'est ce que je propose d'appeler l'anthropologie-théologie septadienne.
Le deuxième récit se situe dans le jardin d’Éden. Petite indication qu'il y a hiatus logique entre les deux : il faut créer à nouveaux l'humain et les animaux. Il ne s'agit pas de rentrer dans les détails de ce qu'il s'est passé au sixième jour du récit précédent, puisque les animaux étaient crééés avant l'humain, alors que, dans le jardin d’Éden, ellils sont crééés ensuite pour « lui faire une aide qui lui soit accordée ». Dans ce deuxième récit, l'humain semble être d'abord crééé androgyne. Puis comme aucun animal ne lui correspond, on retire le côté (la moitié?). Adam se réveille face à Ève. Il la nomme « épouse », et se faisant il se nomme aussi « époux ». L'étymologie des mots époux/épouse en hébreux peut suggérer la même idée que dans l'anthropologie-théologie septadienne, à savoir que pour dire Dieu, HA, il faut que l'épouse et l'époux soit ensemble, et apportent chacüne la lettre qui manque à l'autre. On va néanmoins déjà plus loin. Le jeu entre le féminin et le masculin est intrinsèquement lié au manque. C'est à partir d'un côté de l'adam (l'humain) qu'est suscitée Ève. On a alors aussi au centre de la relation entre femme et homme l'altérité. L'humanité est autre à elle-même. Personne, seulle, ne peut représenter toute l'humanité. A bien y considérer deux ne suffisent pas plus. Les altérités en humanité ne se résument pas à la différence des sexes. Nous sommes traverséés par des différences d'âge, d'aspect physique, d'histoire, de culture, d'orientation sexuelle, etc. Dire que l'humanité ne peut être envisagée qu'en l'envisageant autant féminine que masculine, c'est dire qu'on ne peut laisser de côté la moindre parcelle d'humanité. Cette anthropologie-théologie, qui pose comme originelle la réciprocité et l'égale dignité entre femmes et hommes, je propose de l'appeler édénique.
Cette manière de distinguer deux récits aux commencements peut paraître surprenant et tirée par les cheveux, tant on a l'habitude d'envisager ce texte de la Genèse comme un récit lisse. Pourtant Matthieu semble bien avoir eu conscience de ce hiatus. Pourquoi sinon répète-t-il deux fois « Livre des origines de Jésus-Christ » (Mt1,1) puis « Voici qu'elle fut l'origine de Jésus-Christ » (Mt1,18) ? De plus à la fin de la généalogie, il incite sur le chiffre 7 : 3 fois 14 générations entre Abraham et le Christ (Mt1,17), ce qui fait qu'avec Jésus commence le septième septennat de génération. Si on doute de la significativité de ces jeux arithmétiques, en tout cas il reste clairement que, dans la première partie des origines de Jésus, Matthieu suit le modèle de généalogie du texte sacerdotal, quoiqu'il en subvertisse radicalement la patrilinéarité (voir commentaire précédent). Les généalogies sacerdotales de la Genèse cessent avec Abraham. Matthieu reprend depuis Abraham, contrairement à Luc qui propose une généalogie depuis Adam (Lc3,23-38). Pour le second récit des origines de Jésus, le texte est encadré par la mention « époux/épouse de ». On peut aussi voir dans l'Ange la référence aux Kéroubim placés par Dieu pour défendre l'accès au jardin d'Eden (Gn3,24). Enfin la dernière phrase en Matthieu fait un (anti-)parallèle parfait avec la phrase qui commence l'histoire d'Abel et Caïn : « Il prit chez lui son épouse, mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus » (Mt1,25) // « L'homme connut Ève sa femme. Elle devint enceinte, enfanta Caïn. » (Gn4,1). Il semblerait que Matthieu savait que la Genèse présentait deux récits distincts des commencements, et qu'il fallait en rédiger aussi deux pour montrer que Jésus en était l'accomplissement. Ce qui n'est pas le cas des créationnistes dont la plus grande bêtise n'est peut être pas de prétendre qu'il existerait une théorie de la création qui aurait la même légitimité scientifique à être enseignée que la « théorie de l'évolution », mais de croire qu'à partir des textes bibliques, il serait possible de formuler une théorie scientifique et historique des origines du monde et de l'humanité. Cependant ces deux récits ont une cohérence commune. C'est Jésus-Christ lui même qui nous en donne la clef herméneutique quand il répond aux pharisiens qui tentent de le piéger en lui soumettant le problème de la répudiation. Les anthropologies-théologies septadienne et édénique se rejoignent pour affirmer que le féminin et le masculin doivent être considérés à égalité pour envisager l'humanité à l'image de Dieu. Les violences de genre défigurent cette humanité, et rendent méconnaissables Dieu, y compris dans les écritures que l'on se met à interpréter de manière misogyne.
Joseph a été un homme qui s'est comporté en époux. Il n'est pas extraordinaire. Ces ancêtres ont été nombreux à se comporter de manière tout à fait machiste, comme le montre sa généalogie. Autour de lui, les valeurs de la civilisation étaient massivement patriarcales. Mais au fond de lui, il ressentait cette état de fait comme injuste. Or « il était juste ». En se mettant à l'écoute de la parole de Dieu, à travers le visage de Marie qu'il aimait et avec qui il ne pouvait être injuste, à travers la parole mystérieuse entendue dans l'intimité d'un songe, et à travers la parole transmise dans les écritures, Joseph s'est fait obéissant. Et il a accueilli la Vie. Il n'a pas été un obstacle à l'Incarnation.

Prions pour la conversion des hommes enfermés dans leur position de dominant. Qu'ils reçoivent la grâce d'être des époux, au service de l'accueil de la Vie.

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    Je viens de lire votre très intéressant commentaire de la figure de Joseph en saint Matthieu. Nous autoriseriez-vous à en publier le début sur le site de FHEDLES avec un lien vers votre blog ? Auriez-vous un email ? Le notre : contact[at]fhedles.fr
    Merci et joyeux Noël.
    Gonzague
    http://pourunfeminismecatholique.blogspot.fr/2013/07/joseph-lanti-adam-face-larbitraire-des.html

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  2. Bonjour,
    Je viens de lire votre très intéressant commentaire de la figure de Joseph en saint Matthieu. Nous autoriseriez-vous à en publier le début sur le site de FHEDLES avec un lien vers votre blog ? Auriez-vous un email ? Le notre : contact[at]fhedles.fr
    Merci et joyeux Noël.
    Gonzague

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