mardi 23 juillet 2013

Précarité d'une naissance (1); Messianismes pour ou contre les violences de genre ?

Commentaire féministe de la Bible – Matthieu 2,1-12
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.



Nous avons toutses en tête qu’à sa naissance, Jésus, entouré de Marie et Joseph, est visité par trois Rois-Mages. C’est encore un exemple qui illustre comment nous nous sommes faittes des images dont nous sommes persuadéés qu’elles se trouvent dans la Bible. Or les mages ne sont ni rois ni trois. Et quand ils entrent dans la maison, ils n’y trouvent que Marie avec Jésus. La crèche, on la rencontrera dans l’autre évangile de l’enfance de Jésus, chez Luc. Que les mages soient trois rois venus de continents différents, ce sont des traditions plus tardives qui l’ont imaginé. Dans le texte de Matthieu, ce sont seulement des mages, étrangers à la Palestine et à la tradition juive. Est-il possible qu’il y ait des femmes dans ce groupe ? Rien n’interdit de le supposer, ni l’esprit du texte qui convoque á travers ces mages toute l’humanité dans sa diversité, ni la plausibilité historique puisqu’on trouve autour du siècle de Jésus-Christ des sociétés qui accordent aux femmes assez de libertés pour que certaines d’entre elles soient devenues érudites et savantes à l’instar d’Aspasie. Car ces mages sont certainement des astrologues. Ils ont « vu un astre à l’Orient » et y ont lu un signe que le roi des juifs était né. On pourrait dire sans anachronisme que ces mages suivent une démarche scientifique : observation d’un astre nouveau ; hypothèse : il s’agirait d’un signe annonciateur ; vérification : d’abord auprès des « experts » des écritures qui annonçaient la venue du Messie, puis en allant elleux-même rendre hommage au nouveau-né et à sa mère. Cette démarche cependant n’est pas scientifique au sens contemporain de la recherche d’une puissance technique, elle poursuit un questionnement existentiel : les mages se déplacent, ils vont à la rencontre d’une autre culture, puis à la rencontre d’un humble foyer. Ellils ne semblent ni déçüs ni surprisses par l’apparence du roi des juifs qu’ellils étaient venüs honorer. Comme si ellils n’avaient pas une idée préconçue de ce que devait être la réalité, qu’ellils n’avaient pas l’intention de la faire plier à leurs désirs et ambitions. C’est certainement cette ouverture qui les a aussi rendüs receptivifs á l’avertissement du songe. Comme pour Joseph précédemment, il n’est pas nécessaire d’imaginer que ce songe soit un ordre divin envoyé pendant le sommeil. L’ambiance de la cours du roi Hérode, l’ambition et la jalousie que celui-ci a certainement manifestées les a certainement inquiétéés. Ellils ne souhaitaient pas provoquer la mort ou le malheur de cet enfant. C’est du bon sens que de ne pas être retournéés à la cours du roi Hérode. Nommer cela bon sens ne veut pas dire que Dieu n’y était pas. Cela nous permets de nous rendre compte comment dans nos propres vies nous pouvons être avertïs « en songe » de ce qui est juste. Pour cela, il faut, comme Joseph, l’anti-Adam, être sensible aux situations d’injustice et ne pas se laisser rendre aveugle et insensible par l’excuse que nous donnerait la loi, la tradition ou même la religion ; et, comme les mages, il faut être ouvertte á l’inattendü de la vie et de la réalité, tout en étant en quête.

Face aux mages, le roi Hérode, et les grands prêtres et les scribes, ont une attitude toute contraire. Ils ont le pouvoir et entendent le conserver, ils savent le sens des écritures mais ne se laissent pas mettre en mouvement par ce qu’elles leur annoncent. Pourquoi, en effet, personne à Jérusalem ne se propose d’accompagner les mages pour rendre hommage au roi des juifs ? Dés la naissance le même paradoxe que celui qu’on trouvera á la mort de Jésus-Christ : les importants du peuple juif méprisent, détestent ou au mieux traitent par l’indifférence celui que des étrangers reconnaissent comme leur roi. On le comprend aisément de la part d’Hérode. Si ce qu’annonce les mages n’est pas vérifié, il est inutile qu’un personnage aussi important qu’il pense être se déplace dans un trou paumé comme Bethléem. Et s’il est vrai que le roi Messie, descendant de David, est né, il aura bien le temps de le faire disparaître. Il ne doute pas que les mages lui obéiront. Mais de la part de « tout Jérusalem » qui est troublé avec Hérode par les paroles des mages ? Comment se fait-il qu’il n’y en ait aucun pour aller rendre hommage au Messie nouveau-né attendu depuis la prophétie de Michée, voici au moins sept siècles ? Peut être la raison se trouve-t-elle dans la prophétie elle-même. Pour répondre à la question des mages sur la localisation de la naissance, les scribes et les grands prêtres ont mélangés deux références bibliques : d’une part le couronnement de David par les anciens d’Israël qui reconnaissent que le Seigneur lui ait dit « C’est toi qui feras paître Israël, mon peuple, et c’est toi qui seras le chef d’Israël » (2Sa5,2) ; d’autre part l’oracle de Michée qui mentionne Bethléem :  « Et toi Bethléem Ephrata, trop petit pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent á l’antiquité, aux jours d’autrefois. C’est pourquoi Dieu les abandonnera jusqu’aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera de ses frères rejoindra les fils d’Israël. Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du Seigneur, par la majesté du Nom du Seigneur son Dieu. Ils s’installeront, car il sera grand jusqu’aux confins de la terre. Lui-même, il sera la paix. » (Mi 5,1-4). Ce qu’ils ne disent pas de l’oracle de Michée montrent où se situent leurs réticences. Alors qu’ils disent de Bethléem qu’il « n’est pas le plus petit des chefs-lieux de Juda », Michée dit bien que ce village et le clan qui l’habite sont tellement insignifiants qu’ils ne figurent pas dans le décompte des clans de Juda. Nulle mention chez les grands prêtres et les scribes de la paix, et encore moins de ces frères qui restent et qui rejoindront les fils d’Israël. Or l’oracle de Michée commence par parler de ce reste : « Je rassemblerai ce qui boite, je réunirai ce qui est dispersé, ce que j’ai maltraité. De ce qui boîte, je ferai un reste ; de ce qui est éloigné, une nation puissante » (Mi 4,6-7). Or cette parole du Seigneur rapportée par Michée semble répondre à la manière avec laquelle David a pris Jérusalem : « On dit à David : Tu n’entreras ici qu’en écartant les aveugles et les boiteux. (…) David dit ce jour-là : Quant aux boiteux et aux aveugles, ils dégoutent David. » (2Sa5,6-8). En fait tout indique que l’oracle de Michée désapprouve une certaine manière d’envisager le messianisme davidique. De tous les descendants possibles de David, il faudra chercher une lignée improbable et oubliée dans une bourgade perdue. Quand David a fondé son règne par les armes, quitte à passer sur le corps des handicapés, tout en les méprisant, le Messie de Michée sera la paix, et il sera rejoint par des boiteux, celleux que Dieu aurait maltraité, qu’ont appellent souvent aujourd’hui « les blesséés de la vie ».

Il y a donc un débat qui traverse la Bible : qui sera le Messie ? Certains répondent qu’il sera comme on s’idéalise ce que fut David, un roi guerrier qui fondera un nouvel empire juif dont Jérusalem sera la capitale, qui, pourquoi pas, rivalisera, ou même surpassera, Alexandre et les Césars ; d’autres espèrent un Messie qui établira la paix sans passer par la guerre, qui sera proche des méprisés, qui ne sera pas le champion d’Israël pour le malheur des autres peuples, mais qui aura une portée universelle. Déjà Osée annonçait : « La maison de Juda, je l’aimerai et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu ; je ne les sauverai ni par l’arc ni par l’épée ni par la guerre » (Os1,7). Jésus lui-même prendra position dans ce débat : « Jésus leur posa cette question : ‘’Quelle est votre opinion au sujet du Messie ? De qui est-il le fils ?’’ Ils lui répondirent  ‘’De David’’. Jésus leur dit : ‘’Comment donc David, inspiré par l’Esprit, l’appelle-t-il Seigneur, en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite jusqu’à ce j’aie mis tes ennemis sous tes pieds ? Si donc David l’appelle Seigneur, comment est-il son fils ?’’ » (Mt 22,41-46). Ainsi, comme le rapportent les trois synoptiques (aussi Mc12,35-37 et Lc20,41-44), Jésus nie que le Messie descende de David, et donc qu’il s’inscrive dans le projet théologico-politique de restaurer l’empire davidique. Alors pourquoi Matthieu insiste-t-il malgré tout sur sa filiation davidique, à travers Joseph et à travers sa naissance á Bethléem ? Pour subvertir complètement les idéologies politico-théologiques associées à l’attente messianique davidique. Nous avons vu déjà comment la généalogie de Jésus-Christ rapportée par Matthieu subvertit la fascination pour une succession patrilinéaire. Matthieu aurait pu faire citer par les scribes la prophétie de Natan (2Sa7), où le Seigneur demande à David de lui construire un temple, et en échange lui promet que sa descendance règnera à jamais sur Israël. C’est plutôt l’oracle de Michée qui est rapporté. Cet oracle s’enracine dans plusieurs expériences féminines. La première, celle dont on peut dire que seules les femmes peuvent la vivre, c’est l’enfantement. Puis c’est la peur du viol, et dans ce cas d’un viol collectif. Situation typique des temps de guerre. Puis le foulage des grains, travaux quotidiens, en général des femmes, à la campagne. Et enfin la description d’une femme guerrière scarifiée : « Maintenant, fais-toi des incisions, filles guerrières » (Mi4,14). Etrangement, cette citation me fait penser à E, une femme que nous avons accompagnée au Nid. Elle a été enfant-soldat en Afrique, et effectivement elle portait des scarifications. Puis elle a été prostituée en France. Aujourd’hui elle est sortie de la prostitution et lutte contre les peurs qui la hantent.

Pour moi, ce récit de Matthieu de la naissance de Jésus et de la visite des mages, et l’oracle de Michée que Matthieu fait citer par les scribes pour indiquer le lieu de la naissance, entrent en résonnance pour illustrer comment la naissance, l’enfantement, est le moment de grande précarité pour les femmes qui constitue la seule asymétrie réellement inscrite dans une différence biologique à l’origine des inégalités de genre. En effet, s’il y a rapport de force entre une femme et un homme, le temps de la grossesse, de la naissance et la vulnérabilité post-partum constitue un élément d’asymétrie pendant lequel l’homme peut l’emporter avec certitude. Encore faut-il qu’il y ait rapport de force, c'est-à-dire conflit systématique entre hommes et femmes. Si l’on suit la théorie d’Emmanuel Todd sur l’origine des systèmes familiaux, ce n’était pas le cas dans les plus anciennes sociétés humaines, puisqu’il s’agissait de sociétés bilatérales, c'est-à-dire de sociétés pour lesquelles il était indifférent que les enfants vivent et contribuent à la survie du clan paternel ou maternel. Au fur et á mesure de la complexification des systèmes familiaux, les familles paternelles et maternelles sont rentrées en conflit pour contrôler le destin de leur descendance. L’évolution vers de plus en plus de patrilinéarité peut s’expliquer par l’avantage que pouvait retirer les hommes de la faiblesse temporaire des femmes autour de la naissance. Malgré cette asymétrie, Todd montre que l’évolution vers la patrilinéarité rencontre beaucoup de résistance. Le niveau maximum de patrilinéarité n’est jamais atteint avant au moins trois millénaires de lente évolution des mentalités permettant de faire intérioriser tout à fait la violence et l’inégalité de genre aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Cette évolution vers plus de patrilinéarité se fait en synergie avec l’évolution vers des sociétés de plus en plus guerrières puis militarisées. C’est en effet par la répartition genrée des tâches entre les armes pour les hommes et la procréation pour les femmes que les sociétés patriarcales guerrières résolvent de manière doublement efficace leur conflit vers l’intérieur en faisant taire l’aspiration á l’égalité entre femmes et hommes et vers l’extérieur en devenant conquérant vis-à-vis des peuples voisins, et ce faisant en diffusant leur propre modèle social patriarcal et guerrier, le rendant évident parce que majoritaire.

L’attente messianique dont témoigne Michée affirme qu’une autre humanité est possible. Cette attente s’exprime par des expériences féminines liées de près à la soumission à une société patriarcale guerrière : les douleurs de l’enfantement, qui plus est dans la solitude : « Tords-toi de douleur et hurle, fille de Sion, comme la femme qui enfante, car maintenant tu vas sortir de la cité, tu vas demeurer dans les champs » (Mi4,10) et le viol collectif : « Et maintenant se sont rassemblées contre toi de nombreuses nations, celles qui disent : ‘’Qu’elle soit profanée ; et que nos yeux se repaissent de la vue de Sion’’ »(Mi4,11). Face à cette précarité existentielle à laquelle sont soumises les femmes dans de telles société, l’oracle donne à la « fille de Sion » des rôles où tout en restant clairement féminine, elle manifeste de la puissance : à travers son travail : « Debout, foule le grain, fille de Sion ; tes cornes, je les rendrai de fer, tes sabots, je les rendrai de bronze. Tu broieras des peuples nombreux » (Mi4,13, ici en prenant des attributs de vache, elle prend quasiment la place de Dieu, car selon, Thomas Römer, Yahwé portait les attribut d’une vache avant de devenir le Dieu unique d’Israël), et en devenant une guerrière. Cependant, la promesse que porte l’oracle de Michée n’est pas une revanche qui établira un règne de violence inversée. Au contraire, c’est la paix. Cette paix adviendra par un événement simple et pourtant merveilleux : « aux temps où enfantera celle qui doit enfanter » (Mi5,2). Le Messie sera accompagné de ce « qui subsistera de ses frères » (Mi5,2b), dont il est question au début de l’oracle, qui sont « ce qui boîte » et qui a été « maltraité » (Mi4,6). « Il se tiendra debout et fera paître son troupeau » (Mi5,3), « il sera la paix. » (Mi5,4).

Matthieu montre que l’oracle de la fille de Sion annoncé par Michée est accompli par le contraste entre la simplicité de la naissance de Jésus, qui est décrit de manière très succincte, et la grandeur des événements qui s’organisent autour de cette naissance : la cours et les grands prêtres de Jérusalem sont convoqués pour donner leur expertise, le Roi Hérode s’inquiète pour son règne, des mages font un grand voyage pour rendre hommage á un nouveau roi et jusqu’au cosmos qui est perturbé par l’apparition d’un nouvel astre annonçant la naissance messianique. Les mages rencontrent la mère et son enfant dans leur maison. Nul sentiment de crainte. Nul besoin que Joseph soit présent pour garantir leur sécurité. Les mages viennent en paix. Ellils rendent hommage et offrent des présents. Peut être peut-on voir dans ces présents un moyen de garantir une sécurité matérielle à la jeune mère. En tout cas pour ce qui est de l’or. C’est en tout cas ce qui se passe aujourd’hui encore quand on offre à un jeune couple le trousseau pour bien accueillir leur nouveau-néé. Paix, accueil, respect, sécurité aussi bien physique que matérielle, la visite des mages s’oppose point par point à tout ce que la naissance peut représenter de précarité. Ces représentanttes de l’humanité rendent réellement hommage à la venue du Messie, car ellils manifestent qu’une humanité où règne la paix est possible. Ellils ont pourtant été confrontéés à l’humanité violente. Ellils ont rencontré Hérode, le monarque dont on verra de quelle manière il accueille la naissance d’un petit enfant, de son Messie. Ils ont rencontré l’interprétation que ses scribes et ses grands prêtres font des écritures. Leur faisant dire la bonne localisation de la naissance, mais la tordant quand même pour qu’elle avalise la vision guerrière et patriarcale du messianisme davidique, plutôt que le messianisme subversif, pacifique et favorable à des relations égalitaires et réciproques entre femmes et hommes, telle que l’ont annoncé les prophètes Michée et Osée. Les mages « se retirèrent dans leur pays par un autre chemin » (Mt2,12). Ellils se sont définitivement détournéés de toute aspiration à une humanité gouvernée selon des principes patriarcaux et guerriers. La rencontre du Messie, du Christ pourra-t-elle nous convertir nous aussi ? Pour abandonner toutes fascinations envers la force des armes, le prestige des rois et des puissants, la conviction des « grands prêtres et des scribes » qui nous affirment que la « civilisation » qui les justifie doit persister comme elle est, voire même devenir encore plus conforme à leur idéal confortable pour eux-mêmes malgré les injustices pour tant d’autres qu’ils méprisent ?


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