mardi 23 juillet 2013

Précarité d'une naissance (1); Messianismes pour ou contre les violences de genre ?

Commentaire féministe de la Bible – Matthieu 2,1-12
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.



Nous avons toutses en tête qu’à sa naissance, Jésus, entouré de Marie et Joseph, est visité par trois Rois-Mages. C’est encore un exemple qui illustre comment nous nous sommes faittes des images dont nous sommes persuadéés qu’elles se trouvent dans la Bible. Or les mages ne sont ni rois ni trois. Et quand ils entrent dans la maison, ils n’y trouvent que Marie avec Jésus. La crèche, on la rencontrera dans l’autre évangile de l’enfance de Jésus, chez Luc. Que les mages soient trois rois venus de continents différents, ce sont des traditions plus tardives qui l’ont imaginé. Dans le texte de Matthieu, ce sont seulement des mages, étrangers à la Palestine et à la tradition juive. Est-il possible qu’il y ait des femmes dans ce groupe ? Rien n’interdit de le supposer, ni l’esprit du texte qui convoque á travers ces mages toute l’humanité dans sa diversité, ni la plausibilité historique puisqu’on trouve autour du siècle de Jésus-Christ des sociétés qui accordent aux femmes assez de libertés pour que certaines d’entre elles soient devenues érudites et savantes à l’instar d’Aspasie. Car ces mages sont certainement des astrologues. Ils ont « vu un astre à l’Orient » et y ont lu un signe que le roi des juifs était né. On pourrait dire sans anachronisme que ces mages suivent une démarche scientifique : observation d’un astre nouveau ; hypothèse : il s’agirait d’un signe annonciateur ; vérification : d’abord auprès des « experts » des écritures qui annonçaient la venue du Messie, puis en allant elleux-même rendre hommage au nouveau-né et à sa mère. Cette démarche cependant n’est pas scientifique au sens contemporain de la recherche d’une puissance technique, elle poursuit un questionnement existentiel : les mages se déplacent, ils vont à la rencontre d’une autre culture, puis à la rencontre d’un humble foyer. Ellils ne semblent ni déçüs ni surprisses par l’apparence du roi des juifs qu’ellils étaient venüs honorer. Comme si ellils n’avaient pas une idée préconçue de ce que devait être la réalité, qu’ellils n’avaient pas l’intention de la faire plier à leurs désirs et ambitions. C’est certainement cette ouverture qui les a aussi rendüs receptivifs á l’avertissement du songe. Comme pour Joseph précédemment, il n’est pas nécessaire d’imaginer que ce songe soit un ordre divin envoyé pendant le sommeil. L’ambiance de la cours du roi Hérode, l’ambition et la jalousie que celui-ci a certainement manifestées les a certainement inquiétéés. Ellils ne souhaitaient pas provoquer la mort ou le malheur de cet enfant. C’est du bon sens que de ne pas être retournéés à la cours du roi Hérode. Nommer cela bon sens ne veut pas dire que Dieu n’y était pas. Cela nous permets de nous rendre compte comment dans nos propres vies nous pouvons être avertïs « en songe » de ce qui est juste. Pour cela, il faut, comme Joseph, l’anti-Adam, être sensible aux situations d’injustice et ne pas se laisser rendre aveugle et insensible par l’excuse que nous donnerait la loi, la tradition ou même la religion ; et, comme les mages, il faut être ouvertte á l’inattendü de la vie et de la réalité, tout en étant en quête.

Face aux mages, le roi Hérode, et les grands prêtres et les scribes, ont une attitude toute contraire. Ils ont le pouvoir et entendent le conserver, ils savent le sens des écritures mais ne se laissent pas mettre en mouvement par ce qu’elles leur annoncent. Pourquoi, en effet, personne à Jérusalem ne se propose d’accompagner les mages pour rendre hommage au roi des juifs ? Dés la naissance le même paradoxe que celui qu’on trouvera á la mort de Jésus-Christ : les importants du peuple juif méprisent, détestent ou au mieux traitent par l’indifférence celui que des étrangers reconnaissent comme leur roi. On le comprend aisément de la part d’Hérode. Si ce qu’annonce les mages n’est pas vérifié, il est inutile qu’un personnage aussi important qu’il pense être se déplace dans un trou paumé comme Bethléem. Et s’il est vrai que le roi Messie, descendant de David, est né, il aura bien le temps de le faire disparaître. Il ne doute pas que les mages lui obéiront. Mais de la part de « tout Jérusalem » qui est troublé avec Hérode par les paroles des mages ? Comment se fait-il qu’il n’y en ait aucun pour aller rendre hommage au Messie nouveau-né attendu depuis la prophétie de Michée, voici au moins sept siècles ? Peut être la raison se trouve-t-elle dans la prophétie elle-même. Pour répondre à la question des mages sur la localisation de la naissance, les scribes et les grands prêtres ont mélangés deux références bibliques : d’une part le couronnement de David par les anciens d’Israël qui reconnaissent que le Seigneur lui ait dit « C’est toi qui feras paître Israël, mon peuple, et c’est toi qui seras le chef d’Israël » (2Sa5,2) ; d’autre part l’oracle de Michée qui mentionne Bethléem :  « Et toi Bethléem Ephrata, trop petit pour compter parmi les clans de Juda, de toi sortira pour moi celui qui doit gouverner Israël. Ses origines remontent á l’antiquité, aux jours d’autrefois. C’est pourquoi Dieu les abandonnera jusqu’aux temps où enfantera celle qui doit enfanter. Alors ce qui subsistera de ses frères rejoindra les fils d’Israël. Il se tiendra debout et fera paître son troupeau par la puissance du Seigneur, par la majesté du Nom du Seigneur son Dieu. Ils s’installeront, car il sera grand jusqu’aux confins de la terre. Lui-même, il sera la paix. » (Mi 5,1-4). Ce qu’ils ne disent pas de l’oracle de Michée montrent où se situent leurs réticences. Alors qu’ils disent de Bethléem qu’il « n’est pas le plus petit des chefs-lieux de Juda », Michée dit bien que ce village et le clan qui l’habite sont tellement insignifiants qu’ils ne figurent pas dans le décompte des clans de Juda. Nulle mention chez les grands prêtres et les scribes de la paix, et encore moins de ces frères qui restent et qui rejoindront les fils d’Israël. Or l’oracle de Michée commence par parler de ce reste : « Je rassemblerai ce qui boite, je réunirai ce qui est dispersé, ce que j’ai maltraité. De ce qui boîte, je ferai un reste ; de ce qui est éloigné, une nation puissante » (Mi 4,6-7). Or cette parole du Seigneur rapportée par Michée semble répondre à la manière avec laquelle David a pris Jérusalem : « On dit à David : Tu n’entreras ici qu’en écartant les aveugles et les boiteux. (…) David dit ce jour-là : Quant aux boiteux et aux aveugles, ils dégoutent David. » (2Sa5,6-8). En fait tout indique que l’oracle de Michée désapprouve une certaine manière d’envisager le messianisme davidique. De tous les descendants possibles de David, il faudra chercher une lignée improbable et oubliée dans une bourgade perdue. Quand David a fondé son règne par les armes, quitte à passer sur le corps des handicapés, tout en les méprisant, le Messie de Michée sera la paix, et il sera rejoint par des boiteux, celleux que Dieu aurait maltraité, qu’ont appellent souvent aujourd’hui « les blesséés de la vie ».

Il y a donc un débat qui traverse la Bible : qui sera le Messie ? Certains répondent qu’il sera comme on s’idéalise ce que fut David, un roi guerrier qui fondera un nouvel empire juif dont Jérusalem sera la capitale, qui, pourquoi pas, rivalisera, ou même surpassera, Alexandre et les Césars ; d’autres espèrent un Messie qui établira la paix sans passer par la guerre, qui sera proche des méprisés, qui ne sera pas le champion d’Israël pour le malheur des autres peuples, mais qui aura une portée universelle. Déjà Osée annonçait : « La maison de Juda, je l’aimerai et je les sauverai par le Seigneur leur Dieu ; je ne les sauverai ni par l’arc ni par l’épée ni par la guerre » (Os1,7). Jésus lui-même prendra position dans ce débat : « Jésus leur posa cette question : ‘’Quelle est votre opinion au sujet du Messie ? De qui est-il le fils ?’’ Ils lui répondirent  ‘’De David’’. Jésus leur dit : ‘’Comment donc David, inspiré par l’Esprit, l’appelle-t-il Seigneur, en disant : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Siège à ma droite jusqu’à ce j’aie mis tes ennemis sous tes pieds ? Si donc David l’appelle Seigneur, comment est-il son fils ?’’ » (Mt 22,41-46). Ainsi, comme le rapportent les trois synoptiques (aussi Mc12,35-37 et Lc20,41-44), Jésus nie que le Messie descende de David, et donc qu’il s’inscrive dans le projet théologico-politique de restaurer l’empire davidique. Alors pourquoi Matthieu insiste-t-il malgré tout sur sa filiation davidique, à travers Joseph et à travers sa naissance á Bethléem ? Pour subvertir complètement les idéologies politico-théologiques associées à l’attente messianique davidique. Nous avons vu déjà comment la généalogie de Jésus-Christ rapportée par Matthieu subvertit la fascination pour une succession patrilinéaire. Matthieu aurait pu faire citer par les scribes la prophétie de Natan (2Sa7), où le Seigneur demande à David de lui construire un temple, et en échange lui promet que sa descendance règnera à jamais sur Israël. C’est plutôt l’oracle de Michée qui est rapporté. Cet oracle s’enracine dans plusieurs expériences féminines. La première, celle dont on peut dire que seules les femmes peuvent la vivre, c’est l’enfantement. Puis c’est la peur du viol, et dans ce cas d’un viol collectif. Situation typique des temps de guerre. Puis le foulage des grains, travaux quotidiens, en général des femmes, à la campagne. Et enfin la description d’une femme guerrière scarifiée : « Maintenant, fais-toi des incisions, filles guerrières » (Mi4,14). Etrangement, cette citation me fait penser à E, une femme que nous avons accompagnée au Nid. Elle a été enfant-soldat en Afrique, et effectivement elle portait des scarifications. Puis elle a été prostituée en France. Aujourd’hui elle est sortie de la prostitution et lutte contre les peurs qui la hantent.

Pour moi, ce récit de Matthieu de la naissance de Jésus et de la visite des mages, et l’oracle de Michée que Matthieu fait citer par les scribes pour indiquer le lieu de la naissance, entrent en résonnance pour illustrer comment la naissance, l’enfantement, est le moment de grande précarité pour les femmes qui constitue la seule asymétrie réellement inscrite dans une différence biologique à l’origine des inégalités de genre. En effet, s’il y a rapport de force entre une femme et un homme, le temps de la grossesse, de la naissance et la vulnérabilité post-partum constitue un élément d’asymétrie pendant lequel l’homme peut l’emporter avec certitude. Encore faut-il qu’il y ait rapport de force, c'est-à-dire conflit systématique entre hommes et femmes. Si l’on suit la théorie d’Emmanuel Todd sur l’origine des systèmes familiaux, ce n’était pas le cas dans les plus anciennes sociétés humaines, puisqu’il s’agissait de sociétés bilatérales, c'est-à-dire de sociétés pour lesquelles il était indifférent que les enfants vivent et contribuent à la survie du clan paternel ou maternel. Au fur et á mesure de la complexification des systèmes familiaux, les familles paternelles et maternelles sont rentrées en conflit pour contrôler le destin de leur descendance. L’évolution vers de plus en plus de patrilinéarité peut s’expliquer par l’avantage que pouvait retirer les hommes de la faiblesse temporaire des femmes autour de la naissance. Malgré cette asymétrie, Todd montre que l’évolution vers la patrilinéarité rencontre beaucoup de résistance. Le niveau maximum de patrilinéarité n’est jamais atteint avant au moins trois millénaires de lente évolution des mentalités permettant de faire intérioriser tout à fait la violence et l’inégalité de genre aussi bien chez les hommes que chez les femmes. Cette évolution vers plus de patrilinéarité se fait en synergie avec l’évolution vers des sociétés de plus en plus guerrières puis militarisées. C’est en effet par la répartition genrée des tâches entre les armes pour les hommes et la procréation pour les femmes que les sociétés patriarcales guerrières résolvent de manière doublement efficace leur conflit vers l’intérieur en faisant taire l’aspiration á l’égalité entre femmes et hommes et vers l’extérieur en devenant conquérant vis-à-vis des peuples voisins, et ce faisant en diffusant leur propre modèle social patriarcal et guerrier, le rendant évident parce que majoritaire.

L’attente messianique dont témoigne Michée affirme qu’une autre humanité est possible. Cette attente s’exprime par des expériences féminines liées de près à la soumission à une société patriarcale guerrière : les douleurs de l’enfantement, qui plus est dans la solitude : « Tords-toi de douleur et hurle, fille de Sion, comme la femme qui enfante, car maintenant tu vas sortir de la cité, tu vas demeurer dans les champs » (Mi4,10) et le viol collectif : « Et maintenant se sont rassemblées contre toi de nombreuses nations, celles qui disent : ‘’Qu’elle soit profanée ; et que nos yeux se repaissent de la vue de Sion’’ »(Mi4,11). Face à cette précarité existentielle à laquelle sont soumises les femmes dans de telles société, l’oracle donne à la « fille de Sion » des rôles où tout en restant clairement féminine, elle manifeste de la puissance : à travers son travail : « Debout, foule le grain, fille de Sion ; tes cornes, je les rendrai de fer, tes sabots, je les rendrai de bronze. Tu broieras des peuples nombreux » (Mi4,13, ici en prenant des attributs de vache, elle prend quasiment la place de Dieu, car selon, Thomas Römer, Yahwé portait les attribut d’une vache avant de devenir le Dieu unique d’Israël), et en devenant une guerrière. Cependant, la promesse que porte l’oracle de Michée n’est pas une revanche qui établira un règne de violence inversée. Au contraire, c’est la paix. Cette paix adviendra par un événement simple et pourtant merveilleux : « aux temps où enfantera celle qui doit enfanter » (Mi5,2). Le Messie sera accompagné de ce « qui subsistera de ses frères » (Mi5,2b), dont il est question au début de l’oracle, qui sont « ce qui boîte » et qui a été « maltraité » (Mi4,6). « Il se tiendra debout et fera paître son troupeau » (Mi5,3), « il sera la paix. » (Mi5,4).

Matthieu montre que l’oracle de la fille de Sion annoncé par Michée est accompli par le contraste entre la simplicité de la naissance de Jésus, qui est décrit de manière très succincte, et la grandeur des événements qui s’organisent autour de cette naissance : la cours et les grands prêtres de Jérusalem sont convoqués pour donner leur expertise, le Roi Hérode s’inquiète pour son règne, des mages font un grand voyage pour rendre hommage á un nouveau roi et jusqu’au cosmos qui est perturbé par l’apparition d’un nouvel astre annonçant la naissance messianique. Les mages rencontrent la mère et son enfant dans leur maison. Nul sentiment de crainte. Nul besoin que Joseph soit présent pour garantir leur sécurité. Les mages viennent en paix. Ellils rendent hommage et offrent des présents. Peut être peut-on voir dans ces présents un moyen de garantir une sécurité matérielle à la jeune mère. En tout cas pour ce qui est de l’or. C’est en tout cas ce qui se passe aujourd’hui encore quand on offre à un jeune couple le trousseau pour bien accueillir leur nouveau-néé. Paix, accueil, respect, sécurité aussi bien physique que matérielle, la visite des mages s’oppose point par point à tout ce que la naissance peut représenter de précarité. Ces représentanttes de l’humanité rendent réellement hommage à la venue du Messie, car ellils manifestent qu’une humanité où règne la paix est possible. Ellils ont pourtant été confrontéés à l’humanité violente. Ellils ont rencontré Hérode, le monarque dont on verra de quelle manière il accueille la naissance d’un petit enfant, de son Messie. Ils ont rencontré l’interprétation que ses scribes et ses grands prêtres font des écritures. Leur faisant dire la bonne localisation de la naissance, mais la tordant quand même pour qu’elle avalise la vision guerrière et patriarcale du messianisme davidique, plutôt que le messianisme subversif, pacifique et favorable à des relations égalitaires et réciproques entre femmes et hommes, telle que l’ont annoncé les prophètes Michée et Osée. Les mages « se retirèrent dans leur pays par un autre chemin » (Mt2,12). Ellils se sont définitivement détournéés de toute aspiration à une humanité gouvernée selon des principes patriarcaux et guerriers. La rencontre du Messie, du Christ pourra-t-elle nous convertir nous aussi ? Pour abandonner toutes fascinations envers la force des armes, le prestige des rois et des puissants, la conviction des « grands prêtres et des scribes » qui nous affirment que la « civilisation » qui les justifie doit persister comme elle est, voire même devenir encore plus conforme à leur idéal confortable pour eux-mêmes malgré les injustices pour tant d’autres qu’ils méprisent ?


mardi 16 juillet 2013

Joseph, l'anti-Adam, face à l'arbitraire des maris


Commentaire féministe de la Bible – Matthieu 1,8-25
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.


L'arbitraire des maris

Pour toute personne un peu engagée ou sensibilisée sur les questions de violences conjugales, la lecture de la péricope où Joseph accepte finalement d'accueillir Marie, quoiqu'elle soit enceinte avant d'avoir habitée avec lui, suscite un malaise. Il est dit de Joseph qu'il « était un homme juste » (Mt 1,19), parce qu'il ne voulait pas « diffamer [Marie] publiquement », mais il comptait tout de même la répudier secrètement. Que ce serait-il passé alors ? Marie se serait retrouvée fille-mère. C'est-à-dire, dans la société de son époque, marginalisée, sans parler de la précarité économique à laquelle elle serait condamnée aujourd'hui encore. La situation que pouvait suspecter Joseph est décrite dans le Deutéronome : si une jeune fille vierge fiancée à quelqu'un est surprise avec un autre entrain de coucher, si c'est dans la ville et que la fille ne s'est pas défendue, n'a pas criée, ils seront lapidéés toutses les deux, si c'est dans la campagne, on suppose qu'on n'a pas pu entendre les cris de la fille, et seul l'homme est lapidé (Dt 22,23-27). Joseph n'a pas surpris de « flagrant délit ». Mais le fait que Marie soit enceinte démontre en toute logique que Marie a couché avec un autre homme. Bien que chez Matthieu, il semblerait que Marie et Joseph vivaient à Bethléem, donc en ville, au moment de la naissance de Jésus, Joseph semble préférer appliquer la jurisprudence de la campagne en ne « diffamant » pas publiquement Marie, ce qui l'aurait condamnée à la lapidation. Mais en même temps, dans son premier mouvement, il n'accorde pas à Marie la possibilité d'avoir été violée, puisque dans ce cas elle n'aurait pas été fautive de se retrouver enceinte, et rien ne justifierait qu'il la répudie. Quoiqu'il en soit de la loi de l'époque et de la manière avec laquelle elle était appliquée, quoiqu'il en soit de la manière avec laquelle Joseph comptait l'appliquer et ce qu'il en fit finalement en obéissant à l'ange, le malaise que suscite la situation vient de l’asymétrie qu'il existe entre Marie et Joseph. Marie dépend totalement de l'arbitraire de Joseph, qu'il soit juste ou pas. D'abord le mariage qui était prévu entre elleux ne semble pas avoir été un choix commun, mais plutôt un mariage arrangé, pour ne pas dire forcé : « Marie (…) était accordée en mariage à Joseph » (Mt1,18). Depuis que ce mariage a été prévu, Marie, comme toutes les femmes de son temps, est devenue comme la propriété de Joseph. Le décalogue, dans le Deutéronome (Dt 5,18) comme dans l'Exode (Ex 20,14), condamnent dans une même phrase le vol et la convoitise de la femme de son prochain. Il y a asymétrie entre mari et femme, et la femme est considérée comme la propriété de son mari. Le mot « mari » se dit « Baal », c'est à dire « maître ». C'est toujours le cas en israélien moderne.
Nous sommes dans une société particulièrement patriarcale, où la domination masculine est acceptée et courante, inscrite dans la loi, et la loi sacrée, et appliquée au quotidien. Joseph en tant qu'homme fait donc partie des dominants. Une femme lui a été accordée, déjà il en est le maître, le Baal, le propriétaire. Comment agit-il depuis sa position de dominant? L'évangile ne dit pas de lui qu'il est le maître de Marie, mais son époux. Le vocable époux/épouse, au contraire du vocable mari/femme, établi une symétrie et une réciprocité entre les partenaires du couple. Y compris en hébreux ('.Y.Sh / Y.Sh.Ha). De nombreux commentateurs y ont d'ailleurs trouvé un jeu de mot : les deux mots comportent le même nombre de lettre, trois, mais diffèrent chacun d'une lettre, Aleph chez 'Ych (époux), et He chez YchHa (épouse). En réunissant les deux lettres qui manquent à l'autre, on obtient HA, un des noms de Dieu, qu'on retrouve dans AlleluyHA, ou même dans Jésus (JoshouHA). Pourtant Joseph, époux, envisage de répudier Marie, son épouse. Ce faisant il agit de manière « juste » au regard de la loi du Deutéronome. Mais Jésus, le fils qu'il accueillera finalement, a pris position vis-à-vis de cette loi qu'on attribuait à Moïse (Mt,5,31-32 ; Mt19,1-12 ; Mc10,1-12 ; Lc16,18). Pour justifier le contredit qu'il fait à la loi de Moïse, Jésus se réfère à la création de l'humanité : « N'avez-vous pas lu que le Créateur, au commencement, les fit mâle et femelle et qu'il a dit : C'est pourquoi l'homme s'attachera à sa femme, et les deux ne feront qu'une seule chair. Ainsi ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Que l'homme donc ne sépare pas ce que Dieu a uni ! » (Mt 19,4-6). Jésus fait donc la synthèse entre les deux mythes des commencements : d'une part dans le récit de la création en sept jours, l'humain a été créé mâle et femelle à l'image de Dieu, et d'autre part dans le récit du jardin et du fruit, Adam reconnaît en Ève « la chair de sa chair », il la nomme alors « épouse » (YChHa), et se nomme lui-même « époux » ('YCh).

Amour originel entre épouxes

Le deuxième récit des commencements dans la Genèse est souvent lu comme le mythe qui institue, ou justifie, l'infériorité des femmes vis-à-vis des hommes. Or une lecture attentive de ce texte montre que ce n'est pas le cas.
Le masculin ne précède pas le féminin dans l'ordre de la création. Souvent on trouve prétexte à ce que Dieu ait d'abord façonné l'adam pour dire que d'après « l'anthropologie biblique » le masculin serait la forme primordiale de l'humanité. Or ce qui sort de la glaise et du souffle de Dieu n'est pas nommé « Adam », mais l'adam, ce qui veut dire l'humain en général. Adam n'est utilisé comme un prénom que pour nommer l'homme dont un côté a été retiré. Cette interprétation est tout à fait traditionnelle, et l'on trouve des représentations picturales du Moyen-Âge ou de la Renaissance qui retracent le récit en représentant d'abord l'adam sous des traits androgynes, sans poils, ni sexe, ni sein, puis après qu'Eve ait été créée, Adam sous des traits masculins. Le deuxième récit de la Genèse propose donc un mythe où l'humanité est d'abord androgyne, puis l'homme/époux n'existe qu'une fois en face de la femme/épouse.

Détail de retable de Grabow (Maître Bertram, vers 1379) Kunsthalle de Hambourg

Ève n'a pas été créée à partir d'une bout de côte, mais « du côté ». On peut certes imaginé qu'il s'agit d'un morceau retiré du flanc de l'adam, mais le plus simple est de voir prendre la moitié.
Ève n'est pas cause de la chute, c'est la méfiance entre Adam et Ève, et entre l'humanité et Dieu qui induit les souffrances. Le serpent s'adresse à la femme en manipulant la parole de Dieu (« vous ne mangerez pas de tout arbre du jardin » Gn3,1). Celle-ci lui répond et commence par résister (« Nous pouvons manger du fruit des arbres du jardin » Gn3,2), elle rétablit ce que Dieu avait dit à l'adam (« Tu pourras manger de tout arbre du jardin » Gn2,16). Ce faisant elle montre qu'elle est aussi dépositaire des paroles divines adressées à l'humanité. Elle cède à la suspicion que suggère le serpent quand il s'agit du seul arbre dont Dieu a effectivement interdit de manger les fruits. Au moment où elle prend du fruit interdit, elle en donne immédiatement à son mari, dont il est dit qu'il « était avec elle ». Depuis quand était-il avec elle ? N'était-il pas présent pendant tout le dialogue avec le serpent ? Et il n'y a pas participé ? En particulier, il aurait pu prêter main forte à Ève pour contrer le doute qu'insinuait le serpent. Il était autant dépositaire qu’Ève de la parole divine. L'expression populaire affirme « il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d'erreur », et certains rajoutent « leur vie entière en est une ». Toustes celleux qui ont interprété cette situation comme la démonstration de la responsabilité et de la faiblesse des femmes face au péché ne manquent pas de toupet ! Ève est la seule à résister, à prendre le risque du doute, mais aussi de la défense de la parole divine que quelques manipulations habiles rendent si facilement contraire à ce qu'elle visait.
Le deuxième récit de la Genèse n'est pas l'explication d'une faute originelle attachée à une prétendue essence féminine. Ni une condamnation de l'humanité. Les malédictions qui sont formulées en conclusion du récit ne sont pas des condamnations, mais l'énoncé des conséquences quasi-mécaniques qui découlent de la perte de confiance entre femmes et hommes, et de la perte de Foi de la part de l'humanité vis-à-vis de Dieu. Après avoir mangé du fruit, Ève et Adam se cachent de Dieu. Ils n'ont plus confiance en leur dignité pour se laisser visiter par Dieu. Quand Dieu les trouve néanmoins et s'adresse à elleux, nous assistons à des échanges de lâchetés, Adam renvoie la responsabilité à Ève (il était pourtant « avec elle »), puis Ève au serpent. Beaucoup de commentateurs voient dans le serpent un symbole phallique. Mais j'en ai entendu aucun aller jusqu'au bout de cette piste : le seul qui dispose d'un phallus entre Adam et Ève, c'est Adam. Selon cette interprétation on aurait donc Adam qui connaîtrait une sorte de dédoublement de personnalité selon qu'il est dominé par son phallus ou pas... En tout cas ce qui s'est passé avec la consommation du fruit, c'est la perte de la Foi, l'introduction de la méfiance, la manipulation de la parole de l'autre pour lui faire dire autre chose que ce qu'il voulait dire. De cette situation découlent toutes les violences : violence entre l'humanité et les animaux devenus sauvages (« je mettrai une hostilité entre [le serpent] et la femme » Gn3,15) ; violence dans la sexualité (« [Le désir de la femme la] poussera vers [son] homme et lui [la] dominera » Gn3,16) ; violence dans le travail pour survivre...

Joseph, l'anti-Adam

Ainsi, nommer systématiquement Joseph « époux de Marie » (Mt1,16 ; Mt1,19) et Marie « épouse de Joseph » (Mt1,20), suggère que ce couple reflète la réciprocité originelle entre femme et homme, avant que s'introduise la méfiance et la violence. Paul, et après lui la Tradition de l’Église, insiste beaucoup sur la figure de Marie, comme anti-Ève, qui restaure la faute qu'elle aurait commise, seule dans une perspective misogyne, au jardin d’Éden. De son côté, l'évangile de Matthieu semble faire le portrait d'un Joseph, anti-Adam. Il s'apprêtait à commettre une violence misogyne, répudier son épouse. Un messager de Dieu lui adresse la parole. Il écoute cette parole. Il lui fait confiance.
Pourtant ce qui lui est dit est dur à entendre pour un homme élevé dans une société patriarcale. Cela va contre la prétention à être propriétaire de sa femme, et de contrôler tout sur sa sexualité, son intimité, sa spiritualité et ses relations, avant et après le mariage, puisqu'il lui ai dit que « ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit-Saint » (Mt1,20). Qu'est ce qui est plus dur à entendre et à accepter : que sa femme, que tout pousse à considérer comme un être inférieur, sa propriété, ait été « volé » par un autre homme, ou bien qu'elle ait une vie intérieure propre, une relation spirituelle avec le Seigneur telle qu'elle peut avoir une fécondité que rien de matériel ne peut expliquer ? Cela va aussi contre la gloriole des mâles de son époque, comme de la notre, qui accordent tant d'importance à être le géniteur d'un fils par le pouvoir de sa propre semence. Et enfin cette parole va contre l'illusion que se font beaucoup de père que leur fils sera ni plus ni moins un prolongement d'eux même : même sang, même métier, parfois même nom... Non, ce fils, comme tous les enfants, dépassera Joseph en humanité : « c'est lui qui sauvera son peuple de ses péchés » (Mt1,21). L'ange du Seigneur commence son message par « ne crains pas », pourtant il y a beaucoup à craindre de ce message pour un homme habitué à la domination masculine. Son épouse lui est confiée, elle ne lui appartient pas. Son fils aussi lui est confié, il n'est pas le résultat de sa virilité, et il ne sera pas l'image de son père, son prolongement, il sera tout autre.
L'évangéliste commente de manière étrange le message du Seigneur. Il cite Isaïe où il est dit que le fils conçu d'une vierge sera appelé « Emmanuel », or il est demandé à Joseph de l'appeler Jésus. Souvent on s'en tire en en appelant aux étymologies. Emmanuel signifie « Dieu avec nous », et Jésus « Dieu sauve ». Mais il y a tant de noms théophores dans la Bible et au temps de Jésus, qu'on peut considérer que deux prénoms pris aux hasards auraient toutes les chances d'avoir le même lien. Plus étrange encore est le fait que dans le message angélique, il est demandé à Joseph de donner le nom de Jésus, tandis que la citation d'Isaïe donnée en commentaire indique que « on donnera le nom d'Emmanuel ». Comme si la foule reconnaîtra en Jésus un autre, plus que ce que Joseph aura nommé. En tout cas le dialogue entre le message entendu en songe et la référence au prophète donne une indication comment, en certaines circonstances, on peut être amenéé à dire que « Dieu nous parle ». Il s'agit d'une attitude d'écoute, écoute de la situation (Joseph est en face d'un dilemme, Marie est enceinte sans qu'il ait eu de relation avec elle, mais il ne lui veut pas du mal, peut être a-t-il même de l'affection pour elle quand bien même le mariage entre elleux serait arrangé, les conséquences pour Marie de ce qu'il pourrait décider ne le laisse pas indifférent), écoute de ce qui se passe dans son intimité (ce qui est toujours un mystère, ce qui est ici rendu par les images du songe et de l'ange, « ange » signifie « messager »), et écoute des écritures, qui sont les témoins des expériences de Foi qui nous ont précédées (pourquoi la parole d'Isaïe en particulier émerge ? Plutôt que les lois qui traitent spécifiquement de la question qui préoccupe Joseph ? Parce qu'il y est question d'une vierge qui conçoit un enfant ?) . Ces éléments néanmoins ne mènent pas à une évidence. Le nom qui lui est suggéré dans le songe, et qu'il donnera à l'enfant, n'est pas celui que propose le prophète. Se mettre à l'écoute, ce n'est pas être obligé, pas même par une évidence logique. « Obéir » signifie « écouter jusqu'au bout », mais cependant agir librement. Quand il est dit que « Joseph fit ce que l'ange du Seigneur lui avait prescrit » (Mt1,24), cela ne veut pas dire qu'il s'est fait le pantin de Dieu. Il a agit librement. La parole de l'ange est une invitation, pas un ordre : « ne crains pas ». La citation biblique est un peu dissonante avec ce qui a été entendu en songe. Il n'y a pas d'évidence qui obligerait à se soumettre à la prescription. Mais l'écoute attentive de ce qui a été dit à Joseph, cette juste obéissance, le tourne vers la vie, vers l'accueil de son épouse et de son fils.
Le deuxième récit de Mathieu sur les origines de Jésus semble bien pointer, en le reversant, le deuxième récit des origines de la Genèse. En Matthieu, tout part du projet de Joseph de répudier Marie, donc de participer à la violence de genre. En Genèse 2 et 3, cela se termine par la mise en place de la violence de genre, le désir de la femme la soumet à son mari. Un message venant du Seigneur est adressé à Joseph, sous la forme d'un songe, et peut être l'a-t-il mûri en méditant la parole du prophète Isaïe. Joseph écoute cette parole divine. Adam reste silencieux pendant que le serpent perverti la parole divine. Il ne prend pas la défense de la parole que Dieu lui a confié. Puis, silencieusement, il mange du fruit. Il ne reprend la parole que pour accuser sa femme. Joseph ne parle pas, il n'accuse personne. Il agit, il accueille Marie. Joseph « ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils ». Alors qu'après avoir été chassé du jardin d’Éden, Adam « connut Ève sa femme ». Le terme « connaître » signifie en langage biblique avoir une relation biblique. Mais à bien réfléchir à l'image, on se rend compte que ce terme pourrait en fait désigner une certaine manière d'avoir des relations sexuelles, et même une certaine manière d'avoir des relations en général avec autrui. Qu'est-ce-que la démarche de connaître peut avoir de commun avec la relation sexuelle ? Dans la connaissance, d'une chose comme d'une personne, on peut avoir l'impression de la contrôler cette chose, de pouvoir prévoir comment elle réagira. On dit aussi en français « posséder » quelqu'un pour euphémiser la relation sexuelle. Au contraire Joseph accueille Marie dans sa maison sans la connaître. En prenant naïvement l'expression « connaître », on peut aussi entendre un respect du mystère que porte Marie. C'est une chose qu'on peut expérimenter quand on cohabite avec quelqu'üne, même si on n'a pas de relations sexuelles avec ellui. En partageant son quotidien, en repérant ses habitudes, on peut être très vite amené à penser qu'on connaît l'autre « par coeur », « comme si on l'avait fait ». Et du coup à ne pas être disponible à la surprise qu'ellil peut nous amener. Cette tentation est amplifié dans un couple marié. Les rencontres sexuelles sont des moments intenses où chacun livrent son intimité. L'üne et l'autre peuvent avoir l'impression d'avoir eu un tel accès à l'autre qu'ellil ne peut plus être surprisse par ellui. Ce qui n'est jamais juste. Chacüne garde un mystère, qu'ellil ne peut même pas saisir ellui-même. Matthieu ne rends pas compte de la tendresse qui a pu exister ou non entre Marie et Joseph. Ce n'est pas son but qui est théologique, et ce serait mal placé, comme à propos de l'intimité de chacüne. Mais il me semble qu'en lisant entre les lignes, on peut envisager une douce tendresse qui unissait Marie et Joseph. On le verra encore dans les lignes suivantes, à travers les épreuves qu'ellils traverseront ensemble. Chacüne, quand ellil est nomméé, est systématiquement désignéé comme l'épouxe de l'autre. Le projet qu'a envisagé Joseph dans un premier temps ne le laissait pas tranquille. Certainement avait-il une affection pour Marie. Son sort ne lui était pas indifférent. C'est ce tourment qui l'a ouvert à entendre une parole en songe. Peut être scrutait-il à travers les écritures, en lisant, de mémoire ou en interrogeant autour de lui, pour trouver ce qui mettrait en défaut la dure loi deutéronomique ?
Dans le deuxième récit de la Genèse, Adam et Ève commencent par se découvrir époux et épouse. Puis perdent la Foi, se méfient l'üne de l'autre, et se retrouvent soumis à la violence et à la souffrance. Joseph et Marie sont épouxes l'üne pour l'autre du début à la fin du récit en Matthieu. Ils n'ont pas eu à reconquérir l'état d'épouse et d'époux l'üne pour l'autre. La violence de genre marque en profondeur l'humanité, mais la vocation profonde de l'humanité reste la réciprocité et l'égale dignité entre femmes et hommes. La disposition de chacüne à être amoureux fait écho à l'intuition des auteurs de la Genèse qui ont formulé le mythe des origines des relations entre femmes et hommes. Cette ouverture à l'autre qui fait voir en ellui la chair de sa chair, si autre et pourtant si proche de soi qu'on n'a l'impression d'être soi-même qu'à ses côtés, c'est le cri d'Adam se réveillant au côté d’Ève : « voici cette fois l'os de mes os et la chair de ma chair ! » (Gn2,23). La Bible témoigne ailleurs de cet universel : dans le Cantique des cantiques, deux jeunes gens s'aiment, et ce poème d'amour symbolise l'amour de Dieu pour l'humanité. Dans le Cantique des cantiques, là aussi l'amour renverse la malédiction de la violence de genre, puisque la femme affirme : « Je suis à mon chéri, et mon chéri est à moi » (Ct6,3), « Je suis à mon bien-aimé et vers moi est son désir » (Ct7,11). Ce n'est plus la femme qui est soumise à son mari par son désir. Le désir est réciproque et l'üne et l'autre disent appartenir à l'autre. Joseph et Marie sont époux et épouse l'üne envers l'autre. Mais au contraire de l'insouciance et de l'abandon au plaisir des sens que témoignent les amoureux du Cantique des cantiques, ellils doivent faire face à des structures qui exigent d'elleux de se comporter comme maître et femme, comme Baal et propriété soumise. La difficulté de Joseph est grande. Il dispose de la position du dominant. Il aurait tout le confort de se comporter comme un maître viril. Répudier Marie n'aurait eu aucune conséquences sur sa vie matérielle. La loi sacrée l'encourageait même à assumer ce rôle brutal. Au contraire, au fond de lui, il se sentait l'époux de Marie, et non son Baal. Obéissant à Dieu, il se comportera comme un époux.
Enfin, étrangement, les deux récits des origines semblent converger. Marie s'est « trouvée enceinte par le fait de l'Esprit-Saint ». Et Ève déclare à la naissance de Caïn : « J'ai procréé un homme, avec le Seigneur » (Gn4,1b). Peut être un souvenir dans la Bible du temps où on n'identifiait pas le lien de cause à effet entre la relation sexuelle et la grossesse ? En tout cas, on peut entendre que toute naissance est un mystère. Que l'enfant à venir n'est pas limité aux déterminismes qu'on voudrait lui attribuait, ni par sa génétique et sa filiation biologique, que certains cherchent depuis peu à sacraliser, ni par les déterminismes sociologiques ou autres. Comme le chante le Psaume « C'est toi qui as créé mes reins ; tu m'abritais dans le sein maternel. Je confesse que je suis une vraie merveille, tes œuvres sont prodigieuses : oui je le reconnais bien. » (Ps139,13-14).

Conclusion _ parallèles entres les origines de Jésus en Matthieu et origines de l'humanité en Genèse.

Matthieu connaît l'Ancien Testament (« La Loi et les Prophètes ») et s'adresse à un milieu judaïque qui en est aussi imprégné. La philologie a identifié que la Genèse s'ouvre avec deux récits des commencements. Le premier relate la création en sept jours. Les spécialistes nomment son auteur P (« prêtres »). Le second nous raconte la création dans le jardin d’Éden. Il serait l’œuvre de J, pour yahviste, puisqu'il nomme Dieu « Yahwé ». Les deux textes sont accolés. Ils ne sont pas destinés à raconter les origines du monde et de l'humanité de manière cohérente pour l'histoire et la science. Ils proposent néanmoins chacun à leur manière une vision de l'humain qui renvoie au divin. Il s'agit à chaque fois de dire Dieu en disant l'humain, comme de dire läe Divain en disant l'humain.
Dans le premier récit de la genèse, l'humain est crééé mâle et femelle dès le début, et ainsi ellil est à l'image de Dieu. L'auteur P, sacerdotal, continue le récit avec la généalogie d'Adam en Gn5. On y apprend que l'image et la ressemblance de Dieu s'accomplit aussi en engendrant, c'est-à-dire en donnant naissance, biologiquement, et en donnant un nom, c'est-à-dire en inscrivant la nouvelle génération dans l'humanité. C'est ce que je propose d'appeler l'anthropologie-théologie septadienne.
Le deuxième récit se situe dans le jardin d’Éden. Petite indication qu'il y a hiatus logique entre les deux : il faut créer à nouveaux l'humain et les animaux. Il ne s'agit pas de rentrer dans les détails de ce qu'il s'est passé au sixième jour du récit précédent, puisque les animaux étaient crééés avant l'humain, alors que, dans le jardin d’Éden, ellils sont crééés ensuite pour « lui faire une aide qui lui soit accordée ». Dans ce deuxième récit, l'humain semble être d'abord crééé androgyne. Puis comme aucun animal ne lui correspond, on retire le côté (la moitié?). Adam se réveille face à Ève. Il la nomme « épouse », et se faisant il se nomme aussi « époux ». L'étymologie des mots époux/épouse en hébreux peut suggérer la même idée que dans l'anthropologie-théologie septadienne, à savoir que pour dire Dieu, HA, il faut que l'épouse et l'époux soit ensemble, et apportent chacüne la lettre qui manque à l'autre. On va néanmoins déjà plus loin. Le jeu entre le féminin et le masculin est intrinsèquement lié au manque. C'est à partir d'un côté de l'adam (l'humain) qu'est suscitée Ève. On a alors aussi au centre de la relation entre femme et homme l'altérité. L'humanité est autre à elle-même. Personne, seulle, ne peut représenter toute l'humanité. A bien y considérer deux ne suffisent pas plus. Les altérités en humanité ne se résument pas à la différence des sexes. Nous sommes traverséés par des différences d'âge, d'aspect physique, d'histoire, de culture, d'orientation sexuelle, etc. Dire que l'humanité ne peut être envisagée qu'en l'envisageant autant féminine que masculine, c'est dire qu'on ne peut laisser de côté la moindre parcelle d'humanité. Cette anthropologie-théologie, qui pose comme originelle la réciprocité et l'égale dignité entre femmes et hommes, je propose de l'appeler édénique.
Cette manière de distinguer deux récits aux commencements peut paraître surprenant et tirée par les cheveux, tant on a l'habitude d'envisager ce texte de la Genèse comme un récit lisse. Pourtant Matthieu semble bien avoir eu conscience de ce hiatus. Pourquoi sinon répète-t-il deux fois « Livre des origines de Jésus-Christ » (Mt1,1) puis « Voici qu'elle fut l'origine de Jésus-Christ » (Mt1,18) ? De plus à la fin de la généalogie, il incite sur le chiffre 7 : 3 fois 14 générations entre Abraham et le Christ (Mt1,17), ce qui fait qu'avec Jésus commence le septième septennat de génération. Si on doute de la significativité de ces jeux arithmétiques, en tout cas il reste clairement que, dans la première partie des origines de Jésus, Matthieu suit le modèle de généalogie du texte sacerdotal, quoiqu'il en subvertisse radicalement la patrilinéarité (voir commentaire précédent). Les généalogies sacerdotales de la Genèse cessent avec Abraham. Matthieu reprend depuis Abraham, contrairement à Luc qui propose une généalogie depuis Adam (Lc3,23-38). Pour le second récit des origines de Jésus, le texte est encadré par la mention « époux/épouse de ». On peut aussi voir dans l'Ange la référence aux Kéroubim placés par Dieu pour défendre l'accès au jardin d'Eden (Gn3,24). Enfin la dernière phrase en Matthieu fait un (anti-)parallèle parfait avec la phrase qui commence l'histoire d'Abel et Caïn : « Il prit chez lui son épouse, mais il ne la connut pas jusqu'à ce qu'elle eût enfanté un fils, auquel il donna le nom de Jésus » (Mt1,25) // « L'homme connut Ève sa femme. Elle devint enceinte, enfanta Caïn. » (Gn4,1). Il semblerait que Matthieu savait que la Genèse présentait deux récits distincts des commencements, et qu'il fallait en rédiger aussi deux pour montrer que Jésus en était l'accomplissement. Ce qui n'est pas le cas des créationnistes dont la plus grande bêtise n'est peut être pas de prétendre qu'il existerait une théorie de la création qui aurait la même légitimité scientifique à être enseignée que la « théorie de l'évolution », mais de croire qu'à partir des textes bibliques, il serait possible de formuler une théorie scientifique et historique des origines du monde et de l'humanité. Cependant ces deux récits ont une cohérence commune. C'est Jésus-Christ lui même qui nous en donne la clef herméneutique quand il répond aux pharisiens qui tentent de le piéger en lui soumettant le problème de la répudiation. Les anthropologies-théologies septadienne et édénique se rejoignent pour affirmer que le féminin et le masculin doivent être considérés à égalité pour envisager l'humanité à l'image de Dieu. Les violences de genre défigurent cette humanité, et rendent méconnaissables Dieu, y compris dans les écritures que l'on se met à interpréter de manière misogyne.
Joseph a été un homme qui s'est comporté en époux. Il n'est pas extraordinaire. Ces ancêtres ont été nombreux à se comporter de manière tout à fait machiste, comme le montre sa généalogie. Autour de lui, les valeurs de la civilisation étaient massivement patriarcales. Mais au fond de lui, il ressentait cette état de fait comme injuste. Or « il était juste ». En se mettant à l'écoute de la parole de Dieu, à travers le visage de Marie qu'il aimait et avec qui il ne pouvait être injuste, à travers la parole mystérieuse entendue dans l'intimité d'un songe, et à travers la parole transmise dans les écritures, Joseph s'est fait obéissant. Et il a accueilli la Vie. Il n'a pas été un obstacle à l'Incarnation.

Prions pour la conversion des hommes enfermés dans leur position de dominant. Qu'ils reçoivent la grâce d'être des époux, au service de l'accueil de la Vie.

jeudi 4 juillet 2013

Vanités des généalogies mâles et Généalogie de l'Incarnation.

Commentaire féministe de la Bible – Matthieu 1,1-17
Ce commentaire fait partie d'une série de commentaires féministes de la Bible en cours d'écriture.

L'évangile selon Matthieu commence par une généalogie de Jésus-Christ bien étrange. Des hommes se suivent qui, depuis Abraham, engendrent des fils qui engendrent à leur tour, pour enfin, à la quarante-et-unième génération, engendrer Joseph, « l'époux de Marie, de laquelle est né Jésus ». On pourrait se dire, à quoi bon cette généalogie si finalement aucun de ces hommes n'est l'ancêtre biologique de Jésus-Christ ?

Les généalogies de la Genèse


Dans un premier temps, on pourrait se dire qu'en débutant son évangile par cette généalogie, Matthieu entend montrer comment Jésus-Christ s'enracine dans l'histoire du peuple juif, à quel point donc il en fait partie. Le style des généalogies est en lui-même courant dans la bible hébraïque. La manière d'introduire cette généalogie, « livre des origines de Jésus-Christ » renvoie littéralement à la généalogie des descendants d'Adam en Genèse 5. Cette généalogie d'Adam enchaîne les patriarches aux longévités proverbiales jusqu'à Noé. Puis après le récit du déluge, se succèdent en Genèse 10 les généalogies des trois fils de Noè, jusqu'à Abraham issu de la lignée de Sem. Ainsi en commençant depuis Abraham, Matthieu semble finir la généalogie commencée en Genèse 5, depuis Adam jusqu'à Jésus-Christ.
Faire une généalogie pour situer un être humain n'est pas anodin. C'est en soi avoir une certaine vision de ce qui fait l'identité de quelqu'un. Est-ce-que la liste des ancêtres, les personnalités de chacunë d'entre elleux, les constantes qu'on peut remarquer entre elleux, permettent de prévoir qui sera l'héritiëre de cette succession ? C'est peut être en tout cas ce que nous cherchons nous même quand nous nous intéressons à notre propre généalogie. Est-ce vraiment l'intention théologique des généalogies bibliques, celles de la Genèse comme celle de Matthieu ? La généalogie d'Adam commence par un rappel de la création de l'humanité selon Genèse 1,26 : « Le jour où Dieu créa l'humain, il läe fit à la ressemblance de Dieu, mâle et femelle il les créa, il les bénit et les appela du nom d'humain au jour de leur création. Adam vécu cent trente ans, à sa ressemblance et selon son image il engendra un fils qu'il appela du nom de Seth ». Nous sommes dans la suite directe du récit de la création en sept jours, qui a été interrompu par les récits du jardin et d'Abel et Caïn par la recomposition finale de la Bible. Nous nous situons aussi dans une même théologie et anthropologie que Genèse 1: l'humain a été créé « à l'image et à la ressemblance » de Dieu. En Genèse 1,26 comme en Genèse 5, c'est l'humain « mâle et femelle » qui est à l'image de Dieu. Ce qui veut dire que Dieu ne peut être considéréé comme uniquement masculin. Dehors donc l'image du vieux barbu. Cela veut aussi dire que c'est en tant que masculin et féminin que l'humanité reflète l'image de Dieu. En Genèse 5,3 est précisé plus en détail comment l'humanité est « à l'image et à la ressemblance » de Dieu: en engendrant, et en nommant. C'est la fécondité de l'humanité qui la rend « à l'image et à la ressemblance » de Dieu. Cette fécondité ne se résume pas à la capacité de procréer. Elle engendre et elle nomme sa progéniture. Les deux dimensions sont indissociables. Du coup, la généalogie prend un autre sens. Cette succession de générations accomplit déjà l'Incarnation. Chaque engendrement réalise l'humanité « à l'image et à la ressemblance » de Dieu. C'est pourquoi nommer chaque génération importe. Ce n'est pas une succession anonyme de génération qui n'auraient eu comme seul mérite que de survivre. Chacun a reçu de ses parents un nom qui l'a fait autant advenir à l'humanité que son existence biologique. Ce faisant, cette chaîne était déjà l'incarnation de Dieu dans le monde à travers cette humanité « à son image et à sa ressemblance ».



Commentaires féministes de la Bible


Je commence à publier sur ce blogue une série de commentaires féministes de la Bible. Ma démarche se veut catholique. C'est à dire au service de la communauté chrétienne. L'idéal aurait été que ces commentaires soient le résultat d'un travail collectif, dans le cadre d'un groupe de lecture biblique par exemple. Ma situation personnelle précaire ne me permet pas d'initier ou d'intégrer un tel groupe. Ces commentaires ne sont pas destinés à être et rester l’œuvre d'une personne. Ils sont donnés à la lecture pour que l'on s'en empare, critique, développe, etc. Leur publication sur ce blogue est destiné justement à recueillir des commentaires, à susciter des échanges. Nous verrons, si cela se produit, comment continuer l'entreprise de faire une lecture complète de la Bible selon un point de vue féministe. On pourrait modifier les commentaires bibliques au fur et à mesure des messages qu'ils susciteraient. On pourrait imaginer organiser un forum dont les échanges seraient les préalables à la rédaction de futurs commentaires bibliques. On pourrait évidemment imaginer organiser ici ou là selon les possibilités matérielles et les volontés des groupes de lecture féministes de la Bible.
Voici ma liste des commentaires déjà publiés :
Pourquoi faire un commentaire féministe de la Bible ? L'entreprise pourrait sembler curieuse. D'une part beaucoup dans le mouvement féministe considère la Bible comme une des bases idéologiques du patriarcat. D'autre part, beaucoup au sein de l’Église sont franchement hostile au féminisme. Ces deux positions, apparemment antagoniques, sont pourtant d'accord sur un point. La Bible ne rime pas avec féminisme. Je suis convaincu du contraire. La Bible peut apporter des soutiens spirituels à celles et ceux qui sont engagés dans des combats féministes, et elle a déjà inspiré nombre de combats féministes, comme celui de l'abolitionnisme initiée par Joséphine Butler. Réciproquement, des points de vue féministes apportent des éclairages essentiels à la compréhension des textes bibliques.
Il ne s'agit pas pour autant de démontrer que la Bible serait féministe. Ce serait anachronique et aussi ridicule que de tenter de démontrer que la Bible est marxiste, libérale, ou même catholique. La Bible est un ensemble de textes hétérogènes qui doit son unité à sa réception par une communauté de fidèles, et même par des communautés de fidèles. L'enjeu alors est d'illustrer comment la Bible peut aussi être accueillie par une communauté féministe. Elle peut l'être par une communauté chrétienne protestante féministe ou par une communauté juive féministe. Etant de fait catholique et féministe, je souhaite partager comment je l'accueille avec ce point de vue.

Comment faire des commentaires féministes de la Bible ?
D'abord j'entreprends de faire une lecture suivie des évangiles. Une lecture suivie pour ne pas être tenté de choisir tel passage plutôt qu'un autre, ne pas faire une sorte de marcionisme féministe. Commencer par les évangiles, parce qu'être chrétien, s'est être disciple du Christ. Les évangiles sont quatre compte-rendus de la vie et de la prédication de Jésus-Christ. Dans une perspective chrétienne, la Bible entière est interprétée à la lumière des évangiles, et en particulier à la lumière du mystère pascal. Cependant, la Bible, rédigée en plusieurs étapes, se réfère à elle-même en permanence. Elle est traversée par un réseau dense d'intertextualité. Lire les évangiles, c'est lire des textes dont les auteurs étaient des lecteurs de ce que l'on appelle l'Ancien Testament, c'est donc une invitation permanente à se reporter à des passages de « la Loi et des Prophètes ».
Qu'est-ce-qui peut rendre une lecture de la Bible féministe ? Le fait d'être féministe, c'est à dire de s'engager politiquement, spirituellement et culturellement contre les injustices spécifiquement faites aux femmes. Le système qui structure ces injustices s'appelle patriarcat. Il faut distinguer féminisme essentialiste et féminisme universaliste. Je prends immédiatement position pour un féminisme universaliste. Le féminisme essentialiste reconnaît au patriarcat qu'hommes et femmes se distinguent de par leur nature. Son combat se résume alors à revendiquer une reconnaissance de l'égale dignité entre nature masculine et nature féminine. Le féminisme universaliste dénonce l'essentialisation des natures féminines et masculines. L'humanité est une. Évidemment chaque individu est différent. Évidemment chaque individu a un sexe. Mais tout aussi évidemment chaque individu à une taille corporelle différente, une couleur de peau différente, un timbre de voix différent, etc. Parmi tout les critères de différentiation que l'on peut utiliser pour distinguer entre êtres humains, le sexe n'est ni plus ni moins pertinent que d'autres. Le féminisme universaliste constate que les cultures patriarcales ont sur-valorisé la différence des sexes à un tel point que les individus jouent un rôle qui correspond plus à ce qui est attribué au sexe avec lequel ils s'identifient qu'au développement libre des potentialités liées à leur corps au cours de leur histoire. Cette situation, assortie d'une domination masculine systématique, aboutit aux injustices et aux violences dont souffrent les femmes dans une société patriarcale. Faire une lecture féministe de la Bible, c'est donc se poser la question de la place des femmes, et donc aussi celles des hommes. C'est appliquer le concept de Genre à l'exégèse.
Comme déjà dit, il ne s'agit pas de démontrer que la Bible est féministe. Nous savons déjà que de nombreux textes bibliques heurteront une conscience féministe. Mais une grande part de la misogynie que l'on prête à la Bible est surtout le fait de la misogynie de ses lecteurs et commentateurs qui font autorité jusqu'à aujourd'hui. Quelques éléments qui balisent le texte biblique me font croire que la foi en l'humain et en Dieu qui a inspiré la Bible suppose forcément une vision universaliste de l'humanité. Dès le premier récit de la création, l'auteur sacerdotal de la Genèse affirme « Dieu créa l'humain à son image, à l'image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa » (Gn 1,27). A l'autre bout de la Bible chrétienne, Paul, que l'on sait être par ailleurs misogyne dans ses textes disciplinaires, affirme « Il n'y a ni homme ni femme. Car vous ne faîtes qu'un dans le Christ Jésus » (Ga 3,28). C'est pourquoi je m'avance avec confiance dans cette entreprise, espérant que cela pourra aider d'autres à vivre leur Foi, espérant pouvoir être rejoint par d'autres dans cette entreprise.
Être féministe, c'est aussi interroger la langue par laquelle nous disons le monde. La langue française a intériorisé par bien des façons la domination masculine. Les milieux féministes résistent à ces marques linguistiques du patriarcat par diverses pratiques, qui souvent se limitent à la typographie. J'avais imaginé d'ajouter à la grammaire française un genre universel, pour rendre compte de toutes réalités qui sont autant féminine que masculine. Je propose ICI comment intégrer un genre universel à la langue française.  J'utiliserai donc une langue française "universelle" dans mes commentaires.

Quelques mots encore sur moi, pour situer mes commentaires. Je suis un homme. Engagé dans le mouvement féministe, j'ai conscience que j'ai été éduqué et socialisé comme un homme. J'ai grandi dans un environnement catholique mais pas forcément fervent. J'ai l'impression d'avoir refait le choix de la Foi au moment de ma confirmation, vers 18 ans. Je me suis « converti » au féminisme en m'engageant auprès des personnes prostituées au Mouvement du nid. Cet engagement relevait pour moi dès le départ de la « charité chrétienne », c'est à dire de l'amour universel que l'on est invité à donner quand on est disciple du Christ. On verra certainement dans mes commentaires combien la question de la prostitution influence ma vision du féminisme et de la Foi.