mardi 25 février 2014

C'est l'amour qui rend parent, et non la filiation biologique.


L'argument de l'importance quasi sacrée de la filiation biologique pour les enfants a été de plus en plus développé dans les milieux chrétiens à l'occasion du débat contre « le mariage pour tous ». Cette pente me paraît tout à fait dangereuse pour la foi chrétienne. D'abord il est difficile de ne pas y voir une grande part de mauvaise foi et de malhonnêteté intellectuelle. Il ne s'est jamais vu jusqu'à présent que les chrétiens s'opposent à l'adoption. Au contraire nombre de pratiques chrétiennes, y compris sacramentales, promeuvent l'adoption pour le bien des enfants. Comment se fait-il que la filiation se pare subitement d'une telle importance si ce n'est parce que cela devient un argument ad hoc pour s'opposer à l'adoption par des couples homosexuels ? Ensuite, en soi, l'obsession pour la filiation biologique présente le risque de finir en une idolâtrie qui nie la liberté aussi bien des enfants que celles des parents. Enfin, ce ralliement soudain à la filiation biologique fait oublier la grandeur spirituelle du processus de l'adoption. Ce que je voudrais porter en pointe de ce texte c'est que, dans la foi chrétienne, la seule filiation est divine, les parents humains ne peuvent qu'adopter. Donner trop d'importance à la filiation biologique comme condition du devenir humain relève d'une idolâtrie qui coupe de Dieu et de la liberté humaine.

En effet je trouve la soudaine passion pour la filiation biologique chez certains courants de pensée chrétiens surprenante. La tradition du parrain et de la marraine, à l'origine destinée à être un forme d'accompagnement dans l'initiation du catéchumène, n'est-elle pas devenu avec la généralisation du baptême de petits enfants une forme de désignation des adultes qui seraient destinés à adopter l'enfant s'il arrivait malheur à ses parents ? N’avons-nous pas aujourd'hui encore dans nos communautés chrétiennes des couples, certes hétérosexuels, qui ont adopté des enfants, souvent de couleur de peau manifestement différente ? Certes nous voyons bien que les adoptions ne sont pas toujours heureuses, que ces familles sont confrontées à de questions spécifiques. Les enfants peuvent souffrir de racisme, ils peuvent se poser des questions existentielles qui amplifient les difficultés de l’adolescence, ils peuvent avoir vécu dans les années qui précédèrent l’adoption des choses traumatisantes. Et de toute manière les parents adoptifs sont confrontés aux mêmes défis que tout les parents, en particulier le défi d’élever ses enfants de manière chaste. Ces familles sont souvent animés d’une réelle et sincère générosité : faire profiter d’un environnement digne et aimant à des enfants abandonnés, souvent dont le lieu de naissance les condamnerait à la misère. On pourrait pourtant les suspecter d’être habité par une revendication du « droit à l’enfant ». Adoptent-ils parce qu’ils sont stériles ? Parce que la femme ne veut ou ne peut plus supporter une nouvelle grossesse ? Je ne crois pas que nous traitons avec ces suspections infamantes les couples de nos communautés qui adoptent. Pourquoi les réservons-nous aux couples homosexuels ?
Il se dit aussi que ce qui manquerait aux enfants élevés par un couple homosexuel serait la présence des modèles de genre différenciés, c'est-à-dire un père et une mère. Or avant même les couples homosexuels réunis par un amour érotique, n’a-t-il pas de tout temps existé, du fait des aléas de la vie, des parents homosexuels, au sens où les adultes en charge de l’éducation de l’enfant était du même sexe, rassemblés pour s’occuper de l’enfant par des liens de parenté ou d’amitié ? N’a-t-on pas vu une grand-mère aider sa fille-mère, deux oncles recueillir leur neveu orphelin, etc ? Face à ces situations où manquait un « référent masculin ou féminin », le bon sens n’a-t-il pas toujours préféré que l’enfant grandisse auprès d’adultes qui l’entourent d’amour, et qui sont eux-mêmes liés par des solidarités de fraternité, d’amour filial ou d’amitié ?
On voit bien que le recours à l'argument du droit des enfants qui serait bafoué par l'adoption par des parents homosexuels relève beaucoup de la stratégie. Il s'agit de prétendre que l'opposition au mariage pour tous ne relèverait pas de motivations homophobes. Néanmoins la mauvaise foi tactique de cet argument non seulement ne dupe personne quant à l'homophobie de ceux qui se laissent convaincre par sa spéciosité, mais aussi présente de nombreux dangers spirituels.

Ces derniers mois, j'ai vu fleurir dans les publications de l'Eglise un certain nombre de témoignage qui insiste sur la connaissance de sa filiation biologique. Pourtant le jugement de Salomon nous donne une indication comment reconnaître une mère dans une situation inextricable où deux femmes revendiquent leur maternité sur un même enfant. Ce n'est pas sur la ressemblance de l'enfant avec l'une ou l'autre femme, ni par aucune preuve « naturelle », relevant de la biologie, que Salomon révélera laquelle est la vraie mère. C'est en menaçant l'enfant de mort qu'il fera se manifester laquelle des deux femmes aime tant cet enfant qu'elle le préfère voir en vie, mais confié à l'autre femme, plutôt que mort (1R 3,20-30). Car si on suit le philosophe espagnol Ortega y Gasset, aimer quelqu'un, c'est vouloir sa vie.
Et en effet, en quoi le partage d’un patrimoine génétique rend-il parent ? Cette obsession pour la filiation biologique n’est-elle pas plutôt un obstacle à la juste adoption de nos enfants ? Certes les femmes n’ont en général aucun doute sur leur maternité biologique. Mais l’angoisse des pères pour lever leur doute n’a-t-il pas des conséquences catastrophiques ? Car le processus multiséculaire d’un contrôle accru des hommes sur les femmes n’a-t-il pas pour moteur cette obsession à être sûr de la paternité ? Ce doute sur la paternité est à proprement parler un manque de foi. Manque de foi vis-à-vis des femmes qui participe à la violence de genre et manque de foi vis-à-vis des enfants. Car enfin quelle importance cela fait que nous ayons vraiment des liens génétiques avec les enfants qui nous sont donnés ? Cette obsession de la paternité n’est-elle pas une forme d’idolâtrie qui empêche d’accueillir les enfants tels qu’ils sont, et non pas comme nous voudrions qu’ils soient ? Car quand bien même nous serions assurés leur être génétiquement apparentés, il nous faut les accueillir comme des êtres absolument nouveaux, ce qu’ils sont. Nous cherchons sur leur visage des ressemblances : « il a le nez de son père » ; « elle a les yeux de sa mère et le lobe d’oreille droite de son grand-père… ». Mais comment ne voyons-nous pas que leur visage est absolument nouveau, originale, inédit ? Comment même cette quête de la ressemblance nous fait manquer le plus surprenant et le plus merveilleux dans un visage de nouveau-né : son absolue originalité !

De plus l’homme par excellence selon notre foi chrétienne, Jésus-Christ, n’a-t-il pas été adopté ? Nous voyons en Marie un modèle de foi, et c’est juste. Mais quel modèle de foi pour les pères nous est proposé en Joseph ! Combien de doutes virils aurait-il pu « légitimement » avoir ! Une mère vierge ? En tout temps et en tout lieu, un homme qui accueillerait un enfant d’une femme en croyant une telle fable est la risée de ses pairs virils. Pourtant Joseph s’est fait père pour cet enfant, et peut être à ce titre meilleur père que les hommes gonflés de leur certitude virile sur la puissance réalisée de leur sperme. Surtout, il a été père sans faire obstacle au vrai Père de Jésus. Sa manière d’éduquer Jésus, manifestement, n’a pas empêché ce dernier de découvrir sa vraie filiation. Pour nous autres chrétiens qui croyons être enfant de Dieu par le baptême, qui n’hésitons pas pour la majorité d’entre nous à baptiser très jeunes nos enfants, avons-nous tout à fait conscience de cet enjeu ? Nos enfants sont engendrés par une parenté plus importante que la parenté biologique : ils sont appelés à être fils et filles de Dieu.
Il me semble que cette spiritualité de la parentalité comme une adoption est libérante. Libérante pour les enfants au premier titre qui ne sont plus soumis à la dictature des déterminismes biologiques et culturelles. Libérante aussi pour les parents, qui non seulement sont libérés de l’obsession de la paternité, ce qui a aussi des effets libérants sur les relations dans le couple, mais surtout ne sont pas comptables de tout ce que deviendront leurs enfants. Je pense notamment aux parents nombreux qui désespèrent de voir leurs progénitures s’éloigner de l’Eglise, de leur manière de foi. Or leurs enfants souvent vivent nombre de choses dont ils pourraient rendre grâce à la lumière de l’Evangile. Le témoignage de Foi n’est pas la transmission d’une croyance en un dogme. C’est donner envie de continuer le chemin de libération entrepris dans sa propre vie, et donc partager la motivation qui était le moteur de ce combat : désir de vie, aspiration à plus grand... Nos enfants peuvent se révéler être nos devanciers sur le chemin de Foi. Jésus ne nous montre-t-il pas l’enfant comme un modèle de Foi ? Le poète, Pablo Neruda, le dit aussi de manière magnifique :

« Comme un violent orage
nous avons agité
tout l'arbre de la vie,
secoué au plus caché
les fibres des racines,
et déjà te voici
chantant parmi les feuilles,
sur la plus haute branche
que tu nous fais atteindre. »

mercredi 19 février 2014

Contre les mariages prostitutionnels

Pour l'Eglise, le mariage est un sacrement. C'est-à-dire le signe concret de l'amour de Dieu pour son humanité. Déjà l'Ancien Testament avec le Cantique des cantiques porte le témoignage que les amours humaines peuvent être à l'image et à la ressemblance de l'amour que Dieu propose à l'humanité. Les chrétiens sont donc tout à fait légitimes pour promouvoir dans la société des conditions telles que chacun puisse vivre des amours à l'image de l'amour de Dieu. Ces temps-ci, nombre de chrétiens se sont mobilisés contre la loi du « mariage pour tous », considérant que l'ouverture des droits du mariage civil aux couples homosexuels mettraient en danger ces conditions. Pour eux, le mariage homosexuel dévoierait le sens profond du mariage. Pour ma part, mon expérience militante de rencontre et d'accompagnement des personnes prostituées au sein du mouvement du Nid, m'a poussé à méditer à la lumière du livre d'Osée en quoi le mariage pouvait constituer une institution opposée à la prostitution. Or Osée nous montre comment les logiques de la prostitution peuvent s'infiltrer dans un couple et pervertir le mariage. Prévenir des perversions qui menacent l'amour fait donc partie des missions de l’Église. La prostitution constitue à mon avis l'archétype du détournement de l'amour. Là où l'amour est gratuité, la prostitution prétend possible de l'acheter et de la vendre. Là où l'amour est liberté, la prostitution n'est que jeu de domination et d'humiliation. Là où l'amour rend possible toutes naissances, biologiques comme spirituelles, la prostitution est fermeture à l'avenir. De tous ces risques, les couples homosexuels ne sont pas exempts. Cependant je ne vois rien qui leur interdit forcément d'accueillir la gratuité, la liberté et la fécondité de l'amour. Le risque de la mobilisation des chrétiens contre le mariage homosexuel est donc d'oublier pourquoi le mariage est une institution humaine si importante pour l’Église. Il ne s'agit pas d'une institution formelle nécessaire au bon ordre de la société, il s'agit d'une forme d'incarnation de l'amour de Dieu parmi les humains qui libère des logiques de la prostitution : la violence, la cupidité, l'absence de foi. Le risque alors est de se tromper dans l'avertissement que nous adressons à nos contemporains. Ce sont les logiques de la prostitution dont il faut préserver le mariage, et non les écarts vis-à-vis d'un formalisme arbitraire.

Or de nombreux aspects du « couple chrétien », tel qu’on pourrait le concevoir à écouter ses défenseurs ou à observer ceux qui prétendent l’incarner, ne présentent que de faibles résistances aux logiques prostitutionnelle. Pour simples preuves pratiques, il suffit de constater la persistance de la prostitution dans les pays et les régions sociologiquement chrétiennes. La résistance spirituelle contre la prostitution de ces familles chrétiennes est si faible qu’elle n’empêche par leurs hommes d’être clients-prostitueurs. Parfois même j’ai entendu des épouses « de bonne bourgeoisie chrétienne » préférer que leur mari aille voir les « belles de nuit », plutôt qu’ils les « trompent avec une maîtresse». Leur résistance spirituelle est si faible qu’elle n’empêche pas leurs filles et leurs fils de se laisser entraîner à l’autodestruction dans la prostitution. Je me rappelle du témoignage d’une jeune femme qui méprisait tant son corps que se laisser prostituer constituait pour elle une manière de vengeance sur le regard qu’on a porté sur elle depuis toute petite. De même, de nombreux garçons, victimes d’homophobies dans leur adolescence, croient découvrir leur identité sexuelle en se livrant corps et âme au milieu de la prostitution homosexuelle. Elle est si faible cette résistance spirituelle que des pays à majorité chrétienne, gouvernés par des partis prétendument chrétiens, laissent l’état organiser la prostitution, comme l'Allemagne et l'Espagne. Et quand les pays chrétiens ne sont pas réglementaristes, ils sont prohibitionnistes comme l’Irlande et la majorité des Etats-Unis. C’est dire s’ils n’ont rien compris où se trouvent le problème dans la prostitution, croyant que le scandale serait le « vice » des personnes prostituées, alors que le scandale est au contraire le fait qu’elles soient exploitées et humiliées.

Il ne suffit pas d’être en couple, ni d’être hétérosexuel, ni d’avoir des enfants « biologiquement naturels », ni même de n’avoir de relations sexuelles qu’avec son partenaire (ce qu’on croit suffisant pour définir la fidélité), pour échapper aux logiques prostitutionnelles. Le livre d'Osée témoigne d'une expérience spirituelle incarnée qui a peut être été fondatrice dans l'histoire de la Foi judéo-chrétienne. Osée a épousé Gomer, une femme prostituée. Ce faisant, il se faisait prophète de l'amour de Dieu pour l'Humanité. La relation entre Osée et Gomer est une histoire tragique et douloureuse, où l'on voit les logiques de la prostitution continuer à être à l’œuvre pour pervertir l'amour. En suivant Osée et Gomer, nous pouvons être averti de ces dangers. J'en identifie trois, qui sont trois formes d'idolâtrie dans le mariage :


Le sacrement du mariage catholique n'est pas au service de la stabilité d'une certaine société. Il est au contraire subversif. Dès son institution canonique au XIIeme siècle, il dérange par la centralité qu'il donne au libre consentement des épouxes. La péricope, où Jésus réaffirme l'indissolubilité du mariage face à la loi de Moïse autorisant la répudiation des femmes, peut être considérée comme la racine évangélique du sacrement du mariage. Or une telle prise de position fait certainement partie de ce qui a mené Jésus sur la croix. Jésus ne condamna pas les personnes prostituées, au contraire il présenta certaines d'entre elles, apparemment devenu disciples de Jean le Baptiste, comme précédant les prêtres du temple dans le Royaume. S'étant convertie à la prédication de Jean, elles avaient rompu avec l'idolâtrie. Les prêtres, eux, malgré leur pureté rituelle que Jésus ne remet pas en doute, sont toujours dans l'idolâtrie. L'enjeu de la Foi chrétienne, ce n'est pas des formalismes rituels ou moraux, c'est la Foi des humains en un Dieu aimant.
La comparaison que l'Ancien Testament fait souvent entre prostitution et idolâtrie permet de proposer une théologie basée sur l'analogie entre amours humaines et amour divin : une théologie des épousailles.

Donc si les chrétiens sont légitimes à s'engager dans la société pour promouvoir un certain type de mariage, c'est bien pour promouvoir les épousailles, les mariages qui incarnent l'amour. Et s'il y a certains types de mariage à dénoncer, ce sont les mariages contaminés par la prostitution. Le mariage homosexuel serait-il forcément un mariage prostitutionnel ?

Ni plus ni moins que le mariage hétérosexuel.

 Mais en se mobilisant contre cette loi, les chrétiens semblent oublier ce qui fait le cœur sacramentel du mariage qu'ils prétendent défendre. Le plus grand risque se trouve là à mon avis.
Car un couple hétérosexuel, pas plus qu'un couple homosexuel, n'est à l'abri de la prostitution provoquée par l'argent, ni par celle provoquée par la violence, ni enfin par celle qui induit une stérilité spirituelle.
S'engager dans la société, jusqu'à la politique, pour promouvoir les épousailles, c'est à dire garantir des conditions sociales, culturelles et économiques qui ne favorisent pas les logiques prostitutionnelles, ça suppose donc de s'engager:
- contre la prostitution au sens strict, et donc pour son abolition;
- contre la précarité, en particulier celle des femmes, et tout ce qui engendre la précarité, notamment l'inégale répartition des richesses et l'insécurité sociale au travail;
- contre les violences conjugales;
- contre tout ce qui s'oppose à l'égalité entre femmes et hommes, dans les représentations culturelles, mais aussi dans les institutions, politiques comme ecclésiales;

Les opposants au mariage pour tous ont beaucoup prétendu défendre le droit des enfants. L'argument qu'un couple homosexuel en adoptant mettrait en danger ses enfants ne me parait pas sérieux. Mais quand bien même il le serait, considérant la pauvreté qui touchent dans notre pays et dans le monde avant tout des enfants, les combats que je viens de lister répondent, me semble-t-il, beaucoup mieux aux droits des enfants à grandir dans la sécurité économique, affective et culturelle.

vendredi 7 février 2014

L'amour ne peut pas être un péché, mais la violence dans les relations sexuelles est un péché.



« Les peurs ne viennent pas de la Bible ».

Même s’il s’agit de « honte » : avec la Bible l’homosexualité n’est pas condamnée, dit la théologienne Claudia Janssen.

Interview dans « die Tageszeitung », 05/02/2014. Traduction Philippe Gastrein.

Taz : Madame Janssen, est-ce-que l’amour peut être un péché ?
Claudia Janssen : Non, l’amour ne peut pas être un péché, mais la violence dans les relations sexuelles (qu’elles soient hétéro ou homosexuelles) est un péché, ou bien autrement dit : la violence c’est l’injustice et ce n’est pas de l’amour entre deux personnes qui ont la même dignité.

Taz : Réponse sans langue de bois de la part d’une théologienne. Pourtant les gens se réfèrent toujours à la Bible comme si elle condamnait les personnes homosexuelles ou bisexuelles.
CJ : L’homosexualité dans la Bible est tout à fait marginale. En général on ne le sait pas. Personne ne s’étonnerait autant du débat actuel autant que Paul lui-même, que pourtant on cite souvent en référence. Il n’a justement écrit qu’une phrase et demie sur le sujet.

Taz : Lesquelles ?
CJ : Dans le premier chapitre de la « lettre aux Romains », il est écrit : « C’est pourquoi Dieu les a livrés à des passions déshonorantes. Chez eux, les femmes ont échangé les rapports naturels pour des rapports contre nature. De même, les hommes ont abandonné les rapports naturels avec les femmes pour brûler de désir les uns pour les autres ; les hommes font avec les hommes des choses infâmes, et ils reçoivent en retour dans leur propre personne le salaire dû à leur égarement. » (Rm 1, 26-27, trad. AELF, traduction de Martin Luther dans l’article originale).

Taz : Et que dîtes vous de cela ?
CJ : Dans le cas précis, il n’y a rien à sauver : la sexualité entre deux femmes, pour Paul, c’est « contre nature », comme entre deux hommes. Cela tient à ce que dans l’Antiquité la sexualité était ainsi définie qu’un homme libre pénètre un partenaire de rang inférieur : une femme ou un esclave (qui pouvait être un esclave masculin, ou bien une femme ou un enfant). La sexualité entre deux hommes libres était par contre considérée comme contre nature.

Taz : Donc du sexe entre un homme libre et un esclave, cela ne posait pas de problème à Paul ?
CJ : Pour les contemporains de l’Antiquité romaine en général, cela ne posait pas de problème.  D’ailleurs souvent les esclaves masculins devaient se raser afin de paraître « non-viril ». Mais Paul, du fait de ses traditions juives,  a rejeté cela.

Taz : Et qu’en était-il donc entre deux femmes ?
CJ : Quand deux femmes couchaient ensemble, selon les mentalités de l’époque de Paul, l’une des deux devait avoir dépassé la limite des sexes en assumant un rôle « viril ». C’était donc aussi considéré comme contre la nature.

Taz : Il semble que les femmes ne pouvaient pas assumer de rôle actif dans leur sexualité. Même avec un homme ?
CJ : Le texte grec est très parlant : « les femmes rejettent leur manière naturelle ». Une relation sexuelle basée sur la réciprocité et l’égale dignité serait, dans cette manière de voir, tout aussi impensable, puisqu’elle serait aussi « contre nature ».

Taz : La Bible est donc un instrument de soumission. Cela doit être dur pour vous, qui êtes théologienne et féministe.
CJ : Ce n’est pas la Bible, mais l’ordre patriarcal qui soumet les humains, femmes comme hommes. C’est pour cette raison que Paul met toujours en garde contre le mariage. Car il voit que celles et ceux qui se donnent au mariage, se livre aux structures patriarcales de la société, et qu’alors elles et ils ne sont plus en mesure de consacrer beaucoup de temps et d’énergie à la communauté. On doit toujours prendre en compte ces questions qui ont à voir avec la sexualité dans le cadre de la famille de l’Antiquité. Elle se compose d’esclaves, de femmes, d’enfants qui sont tous propriété du Pater Familias. Celui-ci décide comme la vie commune s’organise. C’est la norme. C’est pourquoi Paul écrit pendant des chapitres entiers à quoi une vie communautaire non hiérarchisée peut ressembler (par exemple : 1Co12).

Taz :  Mais il parle aussi de la « honte »  qu’amène « un homme avec un homme », et aussi « d’égarement ».
CJ : Il y a certes dans la Bible plusieurs affirmations sur de nombreux sujets. Le deutéronome exige de manière très claire l’effacement de la dette tous les sept ans (Dt15). Dans le « Notre Père », nous prions pour que « Pardonne nous nos dettes, comme nous pardons à nos débiteurs » (traduction littérale de « pardonne nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés », qui reste dans la version allemande, NDT). Ici, très clairement, cela concerne aussi des dettes économiques. L’accueil des personnes en détresse et des réfugiés est une autre exigence éthique tout à fait centrale dans la Bible. Mais sur ces sujets, on trouve beaucoup de gens pour conclure rapidement qu’il faut relativiser dans un cadre historique, ou bien qu’il ne faut pas considérer ces aspects comme tellement important.

Taz : Est-ce-que la Bible peut donc être un guide de morale ?
CJ : C’est exactement la question de fond. Pourquoi je considère que tel passage correspond à une vérité intemporelle, et tel autre passage doit être lu dans le contexte historique de sa rédaction ? Pourquoi dirais-je que c’est une Parole immuable quand il s’agit d’homosexualité. Et pourquoi j’interprète dans le contexte historique le commandement de lapider l’adultère ? La Bible n’est pas un livre où l’on trouve des vérités intemporelles qui auraient une validité sans restriction à toutes les époques. Elle n’est pas non plus une autorité morale, avec laquelle je peux me couvrir quand ça me convient.

Taz : Si la Bible n’est pas une autorité morale, qu’est ce que c’est alors ?
CJ : L’objectif des Ecritures, c’est que tout humain ait la Vie en abondance. Et c’est pour cette Vie que les humains ont été créés. Dans mon passage préféré des lettres de Paul, il est dit à propos de la Bible : « Or, tout ce qui a été écrit à l'avance dans les livres saints l’a été pour nous instruire, afin que, grâce à la persévérance et au réconfort des Écritures, nous ayons l’espérance. » (Rm 15,4). Pour moi, la Bible est un livre contre la résignation, un livre de l’espérance et de la vie.

Taz : Cependant, on a l’impression que dans le débat sur l’homosexualité que la Bible suscite exactement le contraire que ce que vous dîtes. On a l’impression que beaucoup de chrétien.ne.s lisent la Bible de manière littérale et qu’ils ont peur de faire quelque chose de mal, quelque chose contre la volonté de Dieu.
CJ : Les peurs ne viennent pas de la Bible. Elles viennent des gens qui veulent créer des peurs et qui utilisent la Bible comme un instrument de domination. Les peurs sont créées par ces gens pour établir une image rigide de la « normalité ». Ils exercent une pression sociale contre toutes celles et tous ceux qu’ils définissent comme « autres ». Cela ne se produit pas seulement au niveau de la sexualité. Cette pression sociale se dirige vers tous ceux qui veulent autre chose que ce qui est délimité au nom de la Bible.

Taz : Qu’est ce que cela signifie dans un pays où vivent des athées et des membres d’autres traditions religieuses ?
CJ : Je me sens rapidement proche des membres d’autres religions, qui essaient de vivre dans le respect de la divinité, et qui placent l’amour du prochain et la compassion au centre de leur pratique, quelques soient les différences. Cependant, on trouve une proximité similaire entre les fondamentalistes de toutes les religions.  Ils peuvent aussi se mettre rapidement d’accord pour, chacun de leur côté, rejeter les « autres ». Ils sont unis dans leur mentalité patriarcale, leur misogynie et leur rejet de l’homosexualité.

Taz : Le déclencheur du débat actuel est le projet de programme scolaire au Baden-Württemberg (Land du Sud-Ouest de l’Allemagne, frontalier avec la France. Réputé conservateur, actuellement gouverné par une alliance Vert-PS, NDT), dans laquelle il est prévu d’apprendre aux élèves qu’il y a plusieurs manières d’envisager sa vie en dehors du modèle des relations hétérosexuelles. Est-ce-que l’on devrait se référer à la Bible dans ce contexte ?
CJ : Sur le fond, non. Et si on le fait malgré tout, avec beaucoup de nuance. Souvent cela se produit de manière superficielle, selon le principe du persil. Quand le rôti est prêt, on saupoudre avec un peu de persil, c'est-à-dire avec quelques citations bibliques. La Bible ne peut pas être invoquée comme renfort divin de ma propre autorité, souvent déficiente.  Le résultat est alors catastrophique, car on rebute ceux qui, pris de doute, avaient un réel intérêt pour la question.

Taz : Quand fondez-vous alors votre action en fonction de la Bible ?
CJ : Je peux expliquer pourquoi je comprends mon action en rapport avec la sagesse biblique, pourquoi les valeurs tirées de ma tradition chrétienne sont importantes, mais je ne peux pas invoquer la Bible comme un livre de loi faisant autorité. C’est pourquoi il est très important que nous réapprenions à connaître notre tradition biblique.  D’une part pour mieux comprendre notre histoire culturelle qui en est empreinte. Mais aussi parce que ceux qui se réfèrent à la Bible, aux « affirmations claires de la Bible », ne connaissent plus du tout la Bible.

Taz : Au début de notre entretien, vous avez dit que l’amour ne pouvait pas être un péché. Qu’est-ce-qu’un péché en fait ?
 CJ : En grec comme en hébreux, les mots que l’ont traduit par «péché » désignent toujours des injustices concrètes, entre humains et aussi vis-à-vis de Dieu. Paul accuse à maintes reprises les structures globales de l’injustice dans l’Empire Romain, dans lesquelles les gens sont impliqués. Il appelle à changer les actes d’injustice, et à se renforcer les uns les autres pour s’opposer à cette injustice. Le péché n’est pas compris de manière ontologique ou purement morale. C’est la tradition tardive qui a développé ce point de vue.
     

dimanche 2 février 2014

Moi, Philippe, baptisé, je ne peux pas « passer mon chemin », non plus !

Réaction à la tribune de Philippe Barbarin, prêtre et archevêque de Lyon, publiée dans La Croix du 23 janvier 2014.

Vous, archevêque de Lyon, pasteur des chrétiens qui sont à Lyon, vous annoncez aller manifester avec «la manif pour tous ».  Vous dîtes que votre présence sera la réponse évangélique à l’appel du prochain, ici en particulier les enfants que l’on menace d’être « sans parent, sans naissance ».

Beaucoup de ce que vous dîtes n’est pas particulier à cet engagement de la « manif pour tous ». Il s’agit d’une spiritualité de l’engagement politique en général: « Que votre oui soit oui ; que votre non soit non ! ». Cette douce fermeté, je l’ai aussi rencontré chez mes ami.e.s d’engagement : tel syndicaliste qui passe des heures dans le froid pour soutenir les salariés d’une entreprise voisine dont les dirigeants ont décidé brutalement la fermeture, tel militant des droits des sans-papiers qui cache une famille entière menacée d’expulsion, tel activiste espagnol qui, dérisoire rempart,  se tient devant le seuil d’une maison pour empêcher les forces de police d’expulser une famille surendettée, etc. Oui, vous avez raison, s’engager pour une cause nous fait rencontrer des femmes et des hommes de bonne volonté qui vivent des valeurs évangéliques aussi bien sinon mieux que nous-mêmes.

Je n’irai pas manifester le 2 février avec « la manif pour tous ». Je ne pense pas ainsi avoir une mauvaise « attitude vis-à-vis des plus petits ». Oui, la Parole de Dieu nous appelle à veiller « pour tous les ‘’sans’’ qui sont nos prochains d’aujourd’hui », les sans voix, les sans âge, les sans avenir, les sans-pays, les sans domicile fixe, les sans pouvoir, les sans reconnaissance… Cependant je ne vois pas les dangers du prétendu changement de civilisation qu’apporteront les réformes autour de la famille que propose l’actuel gouvernement. Comment ! Nous chrétiens, nous avons peur de dissoudre les arbres généalogiques ? Mais notre Seigneur Jésus-Christ n’est-il pas né de la rupture radicale de toute généalogie ? Qu’est-ce sinon que la généalogie de Jésus-Christ en Matthieu, où une longue lignée d’homme aboutit à la subversion radicale de toute filiation biologique : « Jacob engendra Joseph, l’époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus » ?  La naissance de Jésus subvertit radicalement l’enfermement qu’une généalogie peut représenter pour un être humain. Même la révélation du premier testament ne proposait pas à l’humanité une idée matérialiste et biologique de la filiation. L’engendrement en Genèse 5, c’est nommer l’enfant. D’où vient subitement cette obsession pour l’enchainement biologique des générations ? Les orphelins que nos Eglises ont accueilli et accueillent encore, que nombre de familles chrétiennes ont adopté, sont-il « sans parent » ou « sans naissance » parce qu’ils n’auraient plus de lien avec leurs parents biologiques ? Quelle insulte pour les parents adoptifs et pour les éducateurs d’orphelinat ! Non, tous ces enfants ont été engendrés comme tout humain depuis la Création. Ils ont été nommés par un autre humain. Par quels étranges mécanismes les enfants qui par le futur seront accueillis dans des familles sans lien biologique ne seraient pas pareillement engendrés ?

Pour autant, comme vous, je suis contre la GPA. Mais pour des raisons profondément différentes. Pour moi, la GPA est inacceptable car c’est l’instrumentalisation du corps d’une femme pour obtenir un enfant. Vous le dîtes vous-même, pour l’instant il n’est nul question d’autoriser la GPA. Soyons vigilant, donc ? Je le serai avec vous. Pour autant, nous avons, sans qu’apparemment vous vous en êtes rendu compte, remporté une grande victoire pour empêcher que jamais la GPA ne soit autorisée en France. En effet, le 4 décembre 2013, l’assemblée nationale adoptait la loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel. Cette loi s’appuie sur le principe de la non-patrimonialité du corps humain. Aujourd’hui, en France, au nom de ce principe, on ne peut pas vendre son sang ou un organe, cela ne peut être qu’un don. Car sinon, nous savons bien que les plus faibles économiquement subiront une pression pour céder leur corps en pièces détachées. Bientôt j’espère, si le Sénat vote aussi la loi, il ne sera plus possible d’obtenir un rapport sexuel contre de l’argent. La sexualité ne pourra se vivre que dans la gratuité. Car nous voyons bien avec la prostitution aujourd’hui que sinon seuls les plus faibles économiquement et socialement consentent à louer leur corps. Dans une société qui affirme avec force que le corps de chacun n’est pas un bien que l’on pourrait céder à autrui comme n’importe quelle chose ou service qui nous est extérieur, comment pourrait-il être admis d’utiliser neuf mois durant le corps d’une femme pour satisfaire à un désir pulsionnel d’enfant ? Ce serait tout à fait incohérent, et je vous assure que celles et ceux qui ont obtenu de haute lutte le vote de la loi contre le système prostitutionnel ne « passeront pas leur chemin », leur « non » restera un « non » ferme. Quand cette loi s’appliquera, nous aurons posé ensemble une norme qui dit qu’une relation sexuelle est et doit rester gratuite. Il s’agira là d’un vrai changement de civilisation. Un changement de civilisation qui pour moi va dans le sens des valeurs évangéliques.

Vous l’aurez compris, je suis personnellement engagé dans la lutte contre le système prostitutionnel. Plus précisément avec le Mouvement du Nid, c'est-à-dire dans la rencontre quotidienne avec les personnes prostituées sur les lieux de prostitution. Si nous voulons la disparition concrète de la prostitution, ce n’est pas contre les personnes prostituées. Il est hors de question de les arracher contre leur volonté à leur activité. C’est pourquoi nous sommes satisfaits que la loi cesse de criminaliser les personnes prostituées, et au contraire pénalise les clients. Comment faire reculer radicalement la prostitution dans notre société ? La prostitution trouve ses racines dans l’idée que l’on peut tout acheter avec de l’argent, dans l’idée qu’une relation sexuelle pourrait se vivre sans s’engager vis-à-vis de l’autre, et dans l’idée que les femmes sont forcément à la disposition des hommes, qu’elles leur seraient inférieures. Quand le prophète Osée pris Gomer, une prostituée, pour épouse, il l’aima en combattant ces trois racines, qui sont aussi les racines de l’idolâtrie. Nous savons bien que l’argent devient facilement une idole. L’Eglise avertit avec constance du danger de se soumettre à toute forme de sexualité déshumanisante qui utiliserait l’autre comme un moyen. Pareillement, quand nous acceptons que le masculin domine le féminin, nous défigurons notre humanité que Dieu créa « à sa ressemblance, mâle et femelle ». Dans la loi contre le système prostitutionnel, à la demande des associations abolitionnistes, il est justement prévu de renforcer l’éducation à l’égalité entre femmes et hommes. Or « la manif pour tous » se bat contre ce type de programme d’éducation, accusant ses promoteurs d’être les propagandistes cachés d’une prétendue « idéologie du genre ». Depuis l’intérieur des mouvements féministes, j’atteste que les affirmations caricaturales qui sont présentées comme propre à « l’idéologie du genre » sont marginales parmi les féministes. Nous ne cherchons pas à transformer les garçons en filles. Nous souhaitons seulement que les garçons grandissent libérés des mythes qui les persuadent qu’ils doivent se comporter en macho. Nous souhaitons que les filles ne connaissent aucune humiliation du seul fait qu’elles sont femmes. C’est une humanité pacifiée que les féministes cherchent à faire advenir, en posant des oui qui sont des oui, et des non qui sont des non. Pour cela ils ne passent pas leur chemin, quand ils croisent une personne prostituée victime d’un proxénète, quand ils croisent une femme violée et battue par son mari, quand ils croisent une femme humiliée à son travail parce que discriminée ou même harcelée…

Par contre je pense qu’il serait illusoire et irresponsable de manifester pour « le droit des enfants à avoir des parents », sans manifester aussi pour le droit des enfants de sans-papiers à vivre en sûreté avec leurs deux parents, sans manifester pour le droit des enfants à avoir des parents reconnus dans la société par un travail payé dignement, sans manifester pour le droit des enfants à être éduqués indépendamment de la fortune de leurs parents, etc. Ce serait illusoire car je ne vois nulle part en France qu’on remette en cause le fait que chaque enfant sera engendré. Ce serait irresponsable car on ne cesse de faire subir aux enfants les conséquences des inégalités qui règnent entre leurs parents.

http://www.nawak-illustrations.fr/